Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/465

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

selon Buchez, évangile selon Pierre Leroux, évangile selon Lamennais, Constidérant, Mme George Sand, Mme Flora Tristan, évangile selon Pesquer (sic), et encore bien d’autres. » Et il déclare qu’il n’a « pas envie d’augmenter le nombre de ces fous ».

Cependant, quelques jours auparavant, il avait reconnu à la propagande communiste de Cabet une utilité particulière, qui était de détourner la classe ouvrière des voies de la violence, si périlleuses pour elle, plus encore que pour l’ordre social. « Depuis surtout, disait-il, que le peuple est dirigé par des dogmatiques à qui il est venu, un peu trop tard, il est vrai, de faire la révolution par les idées, toute possibilité d’émeute, toute chance d’insurrection disparaît. Il y a un grand nombre de socialistes de cette espèce, qui tous prêchent et disputent : eh bien ! qu’ils disputent, pourvu qu’ils restent tranquilles ! Cabet peut se vanter d’avoir empêché plusieurs émeutes. »

C’était sans doute également l’avis du rapporteur du procès Quénisset, car, tandis qu’il accablait de ses foudres le communisme de l’Humanitaire, il déclarait « séduisant » le communisme icarien prêché par Cabet. Cela n’empêchait pas les démocrates, et surtout les radicaux du National de lui montrer la plus vive hostilité. « Je ne suis pas communiste », déclarait Ledru-Rollin. Et il ajoutait charitablement : « Je hais les communistes. » Proudhon, sous peu, allait leur en dire bien d’autres.

Bien que d’ordinaire il ne sépare pas les hommes de leurs doctrines, et qu’il reproche à Cabet de « manquer de lumières, de ne pas savoir écrire et de se donner de l’importance » ; il montre néanmoins de la sympathie pour « un homme honnête au fond, utile au peuple ». Cabet, dit-il, « a beaucoup souffert ; il a beaucoup travaillé ; il a fait quelque bien, notamment en Corse, où il a été procureur général et où il a organisé le jury ; il est pauvre, il vit, je crois, de ses publications avec sa femme et sa fille ».

Ces publications étaient nombreuses. Il donnait dans ce temps-là la deuxième édition de son Histoire populaire de la Révolution française. Son Voyage en Icarie obtenait un vif succès, et il y ajoutait sans relâche des brochures ; Douze lettres d’un Communiste à un Réformiste, la Propagande communiste, le Démocrate devenu Communiste, Toute la Vérité au Peuple, le Cataclysme social. Salut ou ruine, les Masques arrachés.

Afin de décider les ouvriers à abandonner les sociétés secrètes et la tactique insurrectionnelle, il publiait coup sur coup la Ligne droite, le Guide du citoyen, le Procès Quénisset et le Procès du Communisme à Toulouse. Pour identifier le communisme au christianisme, ce qui fut, on le sait, la préoccupation des réformateurs sociaux de l’époque, il écrivit un livre qu’il estimait capital, sous le titre de Le Vrai Christianisme. Mais, en réalité, son ouvrage capital est le Voyage en Icarie.

Dans ce livre, Cabet trace le tableau de la société idéale, sous forme de roman. L’Icarie est une région de l’Amérique dans laquelle des Européens ont