Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/486

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a été plus sérieuse et plus approfondie que celle des communistes de l’école révolutionnaire, sa conception de l’État sera moins simple aussi. C’est bien la société qui, finalement, doit être l’unique propriétaire, mais l’État, qui est l’organe de la société, n’a pas chez Louis Blanc cette autorité absolue sur la production que lui donnent Babeuf, Buonarotti et Cabet.

En faisant de l’État le « banquier des pauvres », le commanditaire du travail, Louis Blanc nous montre le plan incliné par lequel il veut faire évoluer la société de l’individualisme au communisme, où chacun donnant selon ses forces recevra selon ses besoins. Il appelle donc les travailleurs à organiser des coopératives de production, il leur rappelle que ces groupes de producteurs ne doivent point s’opposer les uns aux autres, mais se solidariser pour organiser l’équilibre entre les besoins et leurs moyens de satisfaction, la commandite de l’État procurant au monde du travail les capitaux destinés à faire disparaître le parasitisme économique.

En même temps, se fondant sur ce que « l’abus des successions collatérales est universellement reconnu », Louis Blanc demande leur abolition et que « les valeurs dont elles se trouveraient composées » soient « déclarées propriété communale ». De la sorte, ajoute-t-il, chaque commune « arriverait à se former un domaine qu’on rendrait inaliénable, et qui, ne pouvant que s’étendre, amènerait, sans déchirements ni usurpations, une révolution agricole immense ».

Car c’est pacifiquement que doit s’accomplir la transformation sociale. Donner le suffrage universel au peuple, enseigner à celui-ci l’exercice de sa souveraineté, faire servir cette souveraineté à remettre aux mains de l’État la banque, les mines, les chemins de fer, les assurances, voilà les moyens sur lesquels Louis Blanc compte pour en finir avec le vieux monde d’inégalité et d’iniquité.

Mais cet État, Louis Blanc en fait-il l’instrument permanent, éternel, de la puissance collective ? Non. Et voici encore ce qui le distingue des communistes qui l’ont précédé. « Nous faisons intervenir l’État, dit-il, du moins au point de vue de l’initiative dans la réforme économique de la société. » « Qu’on ne s’y trompe pas, » ajoute-t-il. « Cette nécessité de l’intervention du gouvernement est relative. » Et il annonce des temps « où il ne sera plus besoin d’un gouvernement fort et actif, parce qu’il n’y aura plus dans la société de classe inférieure et mineure ».

En attendant que cesse cet état d’infériorité et de minorité, « l’établissement de Louis-Philippe de s’être désintéressé de la direction des esprits, ne saurait être fécondé que par le souffle de la politique ». Jusqu’où doit aller cette « autorité tutélaire », nous en avons déjà eu le sentiment, lorsque nous avons vu Louis Blanc, dans son Histoire, de Dix Ans, reprocher au gouvernement de Louis-Philippe de s’être désintéressé de la direction des esprits. Ici, il rejoint l’autoritarisme de Babeuf et de Cabet.