Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/572

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Les beaux jours de la Restauration étaient revenus, et ce n’était pas encore assez pour l’Église. Le gouvernement avait toléré les congrégations ; à présent il les encourageait, — et les évêques gémissaient sur le malheur du temps. La loi sur les associations était violée ouvertement, et les communautés constituaient à Paris une main-morte si considérable que le Conseil général de la Seine demandait au gouvernement d’en arrêter le progrès. Le gouvernement demeurait sourd à cet appel, — et le clergé le signalait comme un persécuteur.

Des scandales éclataient dans les couvents, les commissaires de police n’osaient y pénétrer pour mettre fin à d’odieuses séquestrations : — l’Église suppliait, par un pétitionnement qui réunissait cent quarante mille signatures, qu’on lui donnât la liberté. « On laissait, dit M. Debidour, comme sous la Restauration, le clergé embaucher des soldats à prix d’argent pour les mener communier ostensiblement. Dans l’enseignement primaire, les écoles congréganistes se multipliaient à vue d’œil. Les Ignorantins, qui n’avaient que 87.000 élèves en 1830, en comptaient plus du double en 1847 ; les congrégations enseignantes étaient recommandées en chaire et au confessionnal. Les dons et les collectes affluaient dans leurs caisses. En revanche, les instituteurs laïques, réduits souvent à trois ou quatre cents francs de portion congrue, étaient calomniés, dénoncés, persécutés, quand ils ne se laissaient pas domestiquer par les curés. » L’Église déclarait intolérable la situation qui lui était faite.

Le gouvernement « tolérait que des écoles religieuses se refusassent à toute inspection et même qu’un aumônier de collège prétendît empêcher un inspecteur général de questionner ses élèves sur l’Histoire sainte. Par contre, il admettait que le clergé lui dénonçât certains professeurs de philosophie comme indignes d’enseigner, pour cause de judaïsme ou de protestantisme ». — L’Église ne pouvait demeurer plus longtemps dans cette misère et sous cet opprobre. Elle avait un parti à la Chambre. Elle somma Guizot de lui donner enfin la liberté, toute la liberté, c’est-à-dire tout pouvoir contre qui lui résisterait.

Guizot avait obéi de son mieux à cette impérieuse alliée en faisant déposer par Salvandy, en février 1847, un nouveau projet de loi sur l’enseignement secondaire. Mais il n’avait pu tout lui livrer, lui donner la liberté illimitée qu’elle réclamait et faire pour elle plus que Charles X lui-même. Ce projet enlevait à l’Université la juridiction sur le personnel des écoles privées, mais lui laissait le droit de rédiger les programmes et de désigner les livres classiques, ainsi que le contrôle de ces établissements. Le certificat de moralité, le brevet de capacité, le stage, n’étaient plus exigés, et si le certificat d’études était maintenu, c’était pour la forme. Les congrégations non autorisées restaient bien exclues du droit à l’enseignement, mais les professeurs des établissements privés n’étaient plus forcés de déclarer qu’ils n’appartenaient pas à une congrégation non autorisée.

C’était trop pour les défenseurs de la société civile, et trop peu pour les cléricaux. « Le gouvernement du roi pense à la religion en instituant la liberté », disait Salvandy dans son exposé des motifs. « Mais, ajoutait-il, il se préoccupe