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jour, dans leur développement spontané, se sont retournées violemment contre la dynastie qui prétendait les régler. Et la dynastie a été vaincue.



CHAPITRE III


ÉBRANLEMENT


Comment, sous un régime d’oppression et de mensonge, la lutte pour la liberté a-t-elle pu recommencer ? Comment des prolétaires vaincus en juin 48, vaincus, eux aussi, eux surtout, en décembre 51, ont-ils pu recommencer encore la bataille pour l’émancipation de leur classe ? C’est là ce que doit tenter d’expliquer l’historien socialiste de cette époque.

Dans les années mêmes, où Napoléon III triomphe, un parti républicain subsiste, des prolétaires restent fidèles à leur idéal. Au temps du Consulat et du premier Empire, des Jacobins, nombreux, s’étaient ralliés à la fortune de Bonaparte. Malgré ses efforts, le second Empire ne parvint pas à rallier les républicains. Il imposa silence ; mais dans le silence, les cœurs continuèrent à battre, et les têtes à travailler, pour la République et la liberté.

Les chefs étaient loin, transportés ou exilés ; loin aussi, partageant leur sort, tous ces militants, tous ces « sous-officiers » de l’armée républicaine, qui aux jours d’émeutes ou de manifestation entraînaient la foule, et, par leur propagande quotidienne, faisaient son éducation. Transportés d’Algérie ou de la Guyane, souffrant de la soif, de la fatigue, de la vermine, prisonniers de Belle-Ile ou de Corte, en butte à l’hostilité de populations ignorantes, exilés de Londres, de Bruxelles, de Genève, se débattant péniblement contre la misère, ils sont séparés de la grande foule ouvrière ou paysanne qu’ils avaient espéré éduquer et libérer, et que le nouveau régime asservit ou comprime chaque jour davantage.

La douce et ardente Pauline Rolland, l’amie de Pierre Leroux et de Georges Sand, qui avait si longtemps rêvé d’une société meilleure, fondée sur la fédération des groupements ouvriers nationaux et étrangers, souffre pendant de longs mois de la pauvreté et de l’exil, et graciée, meurt à Lyon, avant d’avoir pu embrasser ses enfants. Eugène Millelot, un des héroïques de Clamecy, et qui a tenté de s’évader de la Guyane, est condamné à cent coups de corde et meurt au vingt-et-unième. Et combien d’autres succombent ainsi de misère ou de tortures, en Algérie et à la Guyane ?

Huber est à Belle-Ile et implore pour sa grâce. A Belle-Ile, encore Gambon pioche la terre et élève des oiseaux ; Commissaire fait à ses co-détenus des cours sur l’astronomie ; Watteau sur l’anatomie et la physiologie ; Blanqui sur l’économie politique. Car c’est là que se trouve le grand conspirateur, condamné au 15 mai. Là aussi est Barbès, le rival. Une lettre de ce dernier, lettre patriotique envoyée à Georges Sand, lui vaut la liberté en 1854. mais il s’exile. L’autre, en 1857, est transporté à Corte.