Page:Jaurès - Histoire socialiste, X.djvu/138

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les maladies. Le baron Larrey, chirurgien en chef, écrivait aux médecins sous ses ordres : « Certaines complications morbides, si elles étaient qualifiées par leur nom propre, tel que le typhus, offriraient de graves inconvénients. Aussi je vous invite, ainsi que nos camarades de Milan, à la plus grande réserve vis-a-vis du public dans l’appellation des maladies graves ». Le corps médical lui-même avait appris comment on gouvernait l’opinion.

Quoi qu’il en soit, l’Empereur fut informé. Le souci de l’état sanitaire s’ajouta aux préoccupations diplomatiques ou intérieures. Le 24 juin, la sanglante victoire de Solférino, remportée après quinze heures de bataille, et au prix de 10.000 hommes, décidait Napoléon III à traiter. A défaut d’une médiation anglaise, que Palmerston, trop heureux de voir son impérial ami embarrassé, refusa d’offrir, il n’hésita pas à faire les premières avances à l’Autriche. Le 8 juillet, l’armistice fut conclu ; le 11, des préliminaires de paix furent signés à Villafranca. La Lombardie devait être cédée à la France et rétrocédée par elle au Piémont ; en dépit de la proclamation du 3 mai, l’Autriche gardait la Vénètie, l’Italie n’était point libre jusqu’à l’Adriatique ; le grand-duc de Toscane et le duc de Modène devaient rentrer dans leurs États ; le Saint-Père serait invité à faire les réformes indispensables ; une confédération italienne serait formée, dont il aurait la présidence.

Pour les patriotes italiens, c’était une trahison ! Pour les libéraux français, enthousiastes de Magenta et de Solférino, c’était une lâcheté incompréhensible ! Du moins, les catholiques étaient à demi rassurés ; et les susceptibilités européennes apaisées. Le 17 juillet, Napoléon III rentra à Saint-Cloud assez mécontent de lui-même, cherchant à expliquer son attitude par l’intérêt supérieur de la France. La nation, heureuse de la paix retrouvée, lui fut alors assez indulgente.

Mais les difficultés ne tardèrent point à reparaître : dès août 1859, en dépit de tous les efforts de Napoléon pour calmer les Italiens, les forces révolutionnaires, déchaînées par lui, poursuivaient leur œuvre. Cavour, après avoir renoncé bruyamment au ministère, dirigeait en sous-main les unitaires de Florence, de Boulogne, de Modène, qui réclamait avec la liberté, l’annexion au Piémont. Le roi de Sardaigne représentait, que s’il s’opposait à ces aspirations véhémentes, il serait lui-même emporté par la révolution. De son côté, le pape s’obstinait, refusant les réformes, réclamant la soumission des Romagnols. Et les diplomates officiels, poursuivant philosophiquement leur œuvre, pouvaient bien le 10 novembre consacrer à Zurich les préliminaires de Villafranca ; chacun sentait que la question italienne n’en resterait pas là.

Napoléon III surtout sentait bien qu’un jour ou l’autre il faudrait continuer l’œuvre inaugurée par la campagne militaire de mai. Et il entrevoyait avec quelque inquiétude le moment où, de nouveau, il devrait s’opposer aux catholiques. D’ailleurs, les amis de Cavour, les grands initiateurs de la première lutte, avaient recommencé leur petite campagne d’influence.