Page:Jaurès - Histoire socialiste, X.djvu/161

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec le tsar, s’arrangeait de manière à prévenir toute conflagration européenne, en arrêtant l’Autriche dans la voie des aventures. La France eut seule la responsabilité des remontrances qu’elle adressait avec l’Autriche et l’Angleterre à la Russie ; Gortschakoff éluda habilement une première note en avril ; il repoussa avec hauteur celle de juillet. L’opinion publique en France s’émut ; le Siècle émit l’idée d’un plébiscite sur la question d’intervention. L’Empereur ne put s’y résoudre. Il laissa écraser la malheureuse Pologne ; une dernière intervention diplomatique en novembre tournait encore à sa honte.

Seul, en ces tristes circonstances, le prolétariat européen fit entendre la voix de la justice. S’il était vrai que les autres gouvernements arrêtaient le gouvernement français, le prolétariat international était unanime. Impuissant encore, il trouva, nous le verrons, dans la question polonaise, une occasion de comprendre que seul l’isolement faisait son impuissance, et des meetings pour la Pologne sortit l’Association internationale.

Mais le débile gouvernement impérial, en abandonnant la Pologne, avait achevé de compromettre sa situation en Europe et de tourner contre lui unanimement tous les partis renaissants. Les conséquences intérieures des échecs extérieurs, d’autant plus graves que les affaires extérieures procédaient pour la plupart d’une préoccupation intérieure, n’allaient pas tarder à se faire sentir.

*
* *


Ce qu’il faut marquer une fois encore, en effet, c’est le progrès nouveau que fit, en ces années-là, et toujours à la faveur des événements extérieurs, la conquête des libertés. L’avocat de l’empire libéral, l’homme qui chercha à tourner, au profit de l’Empire, tout l’effort d’opposition des Cinq et de leurs électeurs, a pu déclarer qu’aucune pression « ne forçait l’Empereur à cette réforme » ; il a pu se féliciter de la bienveillance « unique dans notre histoire » de cet Empereur, au pouvoir intact », qui ouvrait courageusement « toutes grandes les fenêtres du Corps législatif, à l’heure même où des voix passionnées s’y élevaient pour animer les esprits contre sa politique » (Empire libéral, V. 90). M. Emile Ollivier ne dupera que lui-même avec ses phrases. Nous avons cité l’aveu du duc de Grammont ; nous avons montré comment le décret du 24 novembre 1860 est directement issu des embarras créés à l’Empire par la question romaine. Il nous faut dire maintenant comment, à la faveur de ce décret, des concessions nouvelles furent arrachées, comment surtout se prépara le grand mouvement libéral dont les élections de 1863 manifestèrent déjà toute la vigueur.

Le gouvernement impérial avait voulu animer l’un contre l’autre les deux partis, les deux traditions que sa politique extérieure avait réveillés. Il n’aboutit qu’à donner plus de force aux revendications libérales. La conséquence était fatale. Il se proposait d’être le modérateur suprême des passions.