Page:Jaurès - Histoire socialiste, X.djvu/228

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n’indique une opposition. Mais je suis disposé à voir dans le fait même d’un nouvel appel, qui n’est revêtu de la signature d’aucun des signataires de l’autre, une première divergence, une première lutte d’influence, entre les plus hardis et les plus modérés des militants parisiens, entre ceux que tourmente déjà un besoin d’indépendance et ceux qui s’accommodent facilement de leur « clientèle ». Il y a d’une part, déjà, les prochains candidats ouvriers et leur entourage ; de l’autre, les hommes qui continuel ont de prendre leur mot d’ordre au Palais-Royal.

Quelques semaines plus tard, un autre fait se produisit qui fut de nature à dessiller encore les yeux de quelques prolétaires, acharnés à attendre du pouvoir impérial la satisfaction de leurs vœux. La révolution de Pologne avait éclaté ; les ateliers parisiens se passionnaient pour les victimes du tzarisme. Entre Paris et Varsovie, des adresses étaient échangées. Les ouvriers voulaient que Napoléon III intervint, comme naguère pour l’Italie. L Empereur, pour les raisons que nous avons dites, n’était point disposé à cette intervention. Les ouvriers, raconte Fribourg, lui adressèrent une pétition. Il refusa de la recevoir, sous prétexte que la Constitution ordonnait d’adresser au Sénat toutes les pétitions. Les ouvriers furent déçus. Ce dut être, pour certains encore, la preuve évidente qu’il ne fallait point compter uniquement sur la bienveillance du souverain ; et le rédacteur Tolain dut être incité a chercher des moyens plus efficaces d’affirmer les vœux de sa classe.

Mais ce sont surtout les élections générales fixées pour la fin de mai, qui allaient accentuer l’opposition naissante entre les deux groupes de militants.

Dans les ateliers parisiens, la majorité était républicaine ; et ce fut certainement par susceptibilité républicaine que d’aucuns blâmèrent les initiateurs de la délégation de Londres. Mais, parmi ceux-là même, il y avait des républicains, et, lorsque les élections approchèrent, ils résolurent d’affirmer les droits de leur classe. Par leurs récentes luttes, par l’autorité nouvelle qu’ils avaient conquise, ils avaient pris confiance en eux-mêmes, en la capacité de leur classe. Dans l’opposition ils réclamèrent voix au chapitre. En 1857, encore, ils avaient voté pour les candidats bourgeois qui leur étaient désignes ; ils prétendirent cette fois être consultés, et même faire désigner des leurs.

Dans le comité républicain formé par Carnot, Beslay, l’ami de Proudhon, l’homme simple et droit, et qui vit si souvent juste, s’était fait leur avocat. Sur sa proposition, des réunions ouvrières avaient été formées et elles devaient envoyer des délégués, tout comme les autres, réunions, au comité central.

Ce furent surtout ces délégués, qui dans le comité firent opposition à Garnier-Pagès et à Marie, à l’homme des 45 centimes et à l’auteur de la dissolution des ateliers nationaux ; et ils avaient l’intention de réclamer deux circonscriptions pour des ouvriers, quand le Comité Carnot fut dissous.