Page:Jaurès - Histoire socialiste, X.djvu/277

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tions extérieurs se traduisaient désormais par des revendications de plus en plus audacieuses de contrôle parlementaire et de gouvernement libre. A la session de 1865, le groupe de la gauche avait parlé avec une hardiesse nouvelle. A l’occasion d’un discours de M. d’Havrincourt, Ernest Picard « prononçait au milieu du bruit des paroles qui n’étaient entendues que d’une partie de la Chambre », comme disait simplement le compte-rendu officiel sans reproduire les dites paroles : mais le lendemain, tout Paris savait le mot que Picard avait prononcé et pour lequel on n’avait point osé le rappeler à l’ordre. « Le Deux Décembre est un crime ! » : voilà ce qu’il avait crié à la majorité stupéfaite. Quelques jours plus tard, Eugène Pelletan, malicieusement, prenait acte d’une phrase de M. Rouher, disant « qu’un peuple a le droit de changer son organisation intérieure ». Enfin, selon la tradition établie par les Cinq, l’opposition exprimait par des amendements à l’adresse, les conclusions pratiques des critiques qu’elle dirigeait contre la politique intérieure ou la politique extérieure. « L’état de nos finances et du crédit public, disait par exemple un amendement de 1865, dépend du régime politique plus encore que des circonstances extérieures… La Chambre ne peut remplir efficacement son mandat qu’autant que le principe fondamental de la spécialité dans le vote des finances aura été restitué ». Depuis le premier discours prononcé par Thiers en 1863, l’opposition reprenait sans cesse sa thèse des « libertés nécessaires ».

Mais d’autres aussi commençaient de comprendre la valeur de cette thèse, et la reprenaient à leur compte, au moins en partie. Par l’aventure mexicaine, par les incertitudes et les contradictions que Thiers avait dénoncées dans la politique italienne, par mille petits faits quotidiens où se révélait déjà comme la lassitude du système, bien des hommes de la majorité se sentaient ébranlés dans leur confiance. Entre l’opposition plus ou moins nette mais obstinée et résolue des républicains, qui attendaient ou préparaient la chute de l’Empire, et les partisans du césarisme autoritaire, il semblait déjà à beaucoup qu’il y avait place pour une opposition constitutionnelle, capable d’aider l’Empire dans un développement progressif des libertés publiques et de le sauver des aventures ou d’une décadence prématurée. Thiers avait rassuré les plus timides d’entre eux en leur montrant que les libertés parlementaires n’étaient point aussi révolutionnaires qu’ils avaient consenti à le croire ; et les ambitieux de la bande comptaient bien trouver dans un changement de politique et de personnel, des positions lucratives. Ainsi tendait à se former, depuis plusieurs mois, le Tiers parti.

Déjà, d’ailleurs, ce parti avait son chef désigné : M. Emile Ollivier. Nous avons raconté plus haut (p. 235) qu’il avait été le rapporteur du projet gouvernemental sur les coalitions (avril-mai 1864), et qu’il avait soutenu ce projet sans réserve, contre Jules Simon, contre Jules Favre, contre la gauche républicaine et libérale. Le fait, en lui-même, constituait déjà une trahison.