Page:Jaurès - Histoire socialiste, X.djvu/304

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à l’Empire, à côté, en dehors de l’opposition parlementaire, et souvent même malgré elle.

Comment cette transformation s’était-elle accomplie ? Sous l’influence de quels faits ou de quels hommes, les nouveaux groupements s’étaient-ils constitués ? Les révolutionnaires de 1867, ceux qui tentaient déjà de manifester contre la seconde expédition de Rome,, étaient des étudiants, des intellectuels, — et des ouvriers. Il nous faut dire d’où venaient et les uns et les autres.

Les premiers s’intitulaient fièrement la « jeunesse du second Empire » ou la « nouvelle génération ». Déjà de 1860 à 1863, nous avons vu quelques-uns d’entre eux grandir et travailler (p. 150-151). Ce sont eux qui ont édité alors la Revue pour tous, la Jeunesse, le Travail. Mais, de jour en jour, leurs rangs se sont accrus. A côté de Germain Casse, de Rogeard et de Pierre Denis, voici Ch. Longuet, l’éditeur des Écoles de France, voici Lafargue, venu de Bordeaux à Paris pour faire ses études médicales. A côté de Taule, de Clemenceau, de Ranc, voici qu’apparaissent Naquet, Accolas, Tridon, Jaclard, Villeneuve, les Levraud, cent autres encore.

Mais leur nombre n’augmente pas seul. Leurs études deviennent plus approfondies, leur critique plus pénétrante, leurs opinions plus arrêtées. Du Travail aux Écoles de France, des Écoles de France à la Rive Gauche ou à Candide, il y a un progrès qui est manifeste.

Et tout d’abord la nouvelle génération n’est point et ne veut point être dupe du libéralisme parlementaire. Clément Duvernois ayant affirmé dans un article de la Presse, « que la génération nouvelle ne demandait qu’une chose : la liberté sur le terrain de l’Empire et de la Constitution », Charles Longuet lui répond que la jeunesse est républicaine à outrance et ne pactisera pas avec l’Empire. (Rive Gauche, 5 novembre 1865… Quelques semaines plus tard, à l’occasion d’un discours de Glais-Bizoinau Corps législatif, Longuet précise cette opposition. « Nous ne sommes pas suspects, dit-il, d’admirer trop vivement les députés de l’opposition. Nous le serions en général de leur reprocher ce qu’ils ont fait et ce qu’ils font, c’est-à-dire d’être entrés au Corps législatif et d’y soutenir une politique arriérée, creuse, déclamatoire, et sans idées. Si un représentant passable de nos principes était au Corps législatif, il s’en ferait chasser : et quant à un représentant complet de nos principes, c’est-à-dire aussi de notre morale, il n’y serait pas entré (18 mars 1866).

Quelques semaines, plus tard, dans un article-manifeste que nous aurons souvent à citer, Lafargue reniait ceux que, lui et ses camarades, avaient naguère tant admirés : « Les démocrates assermentés de l’opposition, disait-il, firent un moment illusion à la jeunesse. Eux seuls parlaient. En prison, plusieurs d’entre nous s’étaient trouvés en contact avec des journalistes. Nous eûmes pendant quelque temps un enthousiasme incompréhensible pour ces hommes. Plusieurs d’entre eux ont même reçu de nous des lettres individuelles et collectives. Qu’ils ne s’en vantent pas et ne nous les