Page:Jaurès - Histoire socialiste, X.djvu/333

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nisation sociale. Ce ne sont plus seulement, comme en 1865, de jeunes intellectuels révolutionnaires qui s’opposent aux parlementaires ; ce sont les ouvriers eux-mêmes. Leur opposition avait été plus longue à se manifester ; elle n’en fut pas moins éclatante.

Le Congrès de la paix fut plein d’ardeur et de confusion. Les récits que nous en avons évoquent au souvenir nos récents Congrès internationaux de libre-pensée. Le héros Garibaldi y débita des aphorismes qui surprirent, proclama la déchéance de la papauté, mais proposa d’adopter la religion de Dieu. Son enthousiasme fit tolérer ses naïvetés ; puis le Congrès établit les bases de la Ligue de la Paix comme organisation permanente.

Les délégués de l’Internationale le saisirent donc de la question sociale. Les-trois délégués officiels ne se trouvaient d’ailleurs point seuls : E. Dupont, délégué de l’Internationale de Londres, vint démontrer que « pour établir la paix perpétuelle, il fallait accepter la révolution sociale avec toutes ses conséquences » ; Bakounine proclama que la Russie ne pourrait être régénérée que par les principes du fédéralisme et du socialisme ; et Chemalé déclara que les ouvriers, pour cette fois encore — mais il laissait pressentir que c’était la dernière, — présentaient aux favorisés du sort l’épée par la poignée !

Gustave Chaudey, le Proudhonien modéré, l’éditeur du dernier livre de Proudhon, parla pour la conciliation, pour l’alliance nécessaire entre la bourgeoisie et le prolétariat.

Finalement, deux résolutions furent prises, l’une qui affirmait « l’incompatibilité des armées permanentes avec la liberté et le bien-être de toutes les classes de la société, principalement de la classe ouvrière », l’autre qui invitait les membres de la Ligue à faire mettre à « l’ordre du jour, dans tous les pays, la situation des classes laborieuses et déshéritées, afin que le bien-être individuel et général vienne consolider la liberté politique des citoyens ». Émile Accolas célébra, dans le Temps, l’alliance du socialisme et de la liberté politique. « La politique et l’économie, disait-il, se sont reconnues et réconciliées dans la justice ».

La formule était belle. La réalité était moins vaste. Ceux qui avaient fait alliance à Genève, c’étaient surtout les jeunes révolutionnaires et les ouvriers, les uns désormais plus préoccupés encore des réformes sociales, les autres prêts à la lutte politique. Entre l’opposition parlementaire et libérale et ce nouveau groupement révolutionnaire le fossé allait se creuser. Clamageran revenait de Genève, plein d’irritation « contre les déclamateurs, les fous et les imbéciles qui, pendant quatre jours, avaient envahi la tribune, contre la tourbe des athées et des proudhoniens ». (Correspondance, page 292). Dameth, de Molinari, Cherbuliez avaient éprouvé les mêmes sentiments d’impatience et de colère.

Quelques semaines plus tard, l’affaire du 4 novembre accentuait le différend. Au moment où tous les ennemis de l’Empire se réunissaient pour une