Page:Jaurès - Histoire socialiste, X.djvu/363

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des astres éteints : la France va chercher ses vieilles flûtes et ses fifres et ses timbales pour donner un charivari à l’Empire. Poser la question sociale à ce moment et dans ce milieu ne me paraît ni possible, ni opportun. Sachons attendre.

Tel est le point de vue objectif de la situation, comme diraient les Allemands. Mais le point de vue objectif s’offre sous un tout autre aspect. Les masses veulent voter contre l’Empire, il y a un réveil général de l’opinion publique ; nul ne peut en douter. Les plus indifférents même commencent de s’intéresser ; la France est lasse de son inaction.

Or, si nous, qui n’avons jamais cessé d’agir, sommes assez éclairés et assez sûrs de nous-mêmes, dans la lutte, pour n’avoir plus besoin de nous aguerrir par des escarmouches, ni de nous exciter par des alertes et du bruit. il n’en est pas de même des indifférents d’hier, de ceux que nous avons réveillés, en nous faisant siffler par eux-mêmes ceux qui ne sont soulevés que par les grands courants, ceux qui n’ont ni la pensée personnelle, ni la conviction solidement faite par l’étude ou la nécessité, ceux dont la passion n’est pas individuelle, ceux dont l’énergie n’a pas d’initiative. N’oublions pas que ceux-là doivent être sans cesse excités, mouvementés, qu’il faut les entraîner, les enfiévrer toutes les fois que l’occasion se présente. Et si un jour, un peu de passion souffle parmi ceux-là, si quelque colère épidémique se déclare parmi eux, loin de chercher à les apaiser, nous devons leur fournir un ferment qui les excite encore, leur donner un objet quel qu’il soit, quelque peu qu’il nous intéresse nous-mêmes, pourvu qu’il les intéresse eux et qu’il ne soit pas contraire à nos tendances, s’il n’est point à leur hauteur. Car les pires choses sont l’indifférence et l’inertie. D’ailleurs leur volonté est d’agir, de voter. Eh bien ! qu’ils votent. Nous aurions beau faire, nous ne les en détournerions pas. Cherchons au moins à tourner cette action au profit de la République en dirigeant dans ce sens les aspirations. Empêchons que l’ennemi de demain ne s’empare des postes avancés, sous prétexte qu’il combat notre ennemi d’aujourd’hui. Et que Messieurs les Orléanistes et Messieurs les Républicains de l’école des Favre et des Simon ne croquent point les marrons par nous tirés du feu.

Deuxième raison : nos amis eux-mêmes paraissent plus disposés à voter que nous ne le pensions, puisque le Progrès de Lyon annonce que la candidature de Raspail a de nombreuses adhésions ; conseiller de s’abstenir serait donc s’exposer à parler dans le désert.

Tu vois, mon cher ami, qu’il s’est agi quant à moi surtout d’hésitation personnelle, mais je conçois très bien que les gens votent et qu’on ne les eu détourne pas, puisqu’ils ne sont pas capables de s’abstenir. D’ailleurs, s’il en était autrement, l’heure de la Révolution serait bien près de sonner. »

C’est ainsi qu’en dépit de leurs conceptions spéciales ou leurs préférences intimes, les hommes de l’Internationale se ralliaient délibérément aux mé-