Page:Jaurès - Histoire socialiste, X.djvu/44

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pays, justifiait toutes Les mesures que le pouvoir allait prendre contre les démagogues, complices ou auteurs de ces trouble ». Couverts par la légende officielle que le coup d’État avait été fait pour sauver la société, policiers, magistrats, préfets se mirent à l’œuvre pour écraser les anarchistes.

C’est une épouvantable époque que celle de cette proscription. Jamais peut-être dans notre histoire, parti ne fut frappé, traqué, persécuté comme le parti républicain d’alors, tout entier suspect de socialisme. Car le fait est frappant que ce fut comme démagogues et comme rouges, comme partisans de la transformation sociale, comme partageux que les républicains d’alors furent visés. La peur de 1848 subsistait, les hommes de décembre le savaient.

Trente-deux départements furent mis en état de siège. Partout où des insurrections s’étaient produites, la répression fut terrible. Autour de Clamecy, les chefs des colonnes mobiles envoyées à la poursuite des insurgés, avaient l’ordre de fusiller tout individu pris les armes à la main, de tirer sur quiconque essaierait de fuir devant la force armée ; et tous les bois furent battus par des bataillons d’infanterie autour de la petite ville. Dans le Gers, dans l’Hérault, dans la Drôme, dans le Var, les campagnes furent occupées et parcourues en tous sens par les colonnes mobiles. La peur des uns, la rancune des autres, toutes les haines locales déchaînées secondèrent les troupes, la police, la magistrature dans leur œuvre ignoble. « La moitié de la France dénonce l’autre », écrivait G. Sand à ce moment sinistre.

Mais il ne s’agissait pas seulement de réprimer les troubles : encore une fois il fallait anéantir les républicains. C’était de cela qu’il s’agissait. Le 8 Décembre, le jour même ou le président se félicitait par une proclamation de l’apaisement des troubles et conviait les citoyens à voter, un décret donnait à l’administration la faculté de déporter à Cayenne, par mesure de sûreté publique, c’est-à-dire sans jugement, les anciens condamnés en rupture de ban et les individus reconnus coupables d’avoir fait partie d’une société secrète. Avec les méthodes de propagande qu’une réaction de deux années avaient imposées aux républicains, avec l’interprétation large et arbitraire de l’Administration, peu de républicains décidés devaient échapper. Et, au demeurant, par une circulaire du 10 Décembre, le Ministre de l’Intérieur précisait ses désirs.

« Ces misérables, disait-il, sont pour la plupart connus de tous ; ils ne doivent pas jouir de la funeste impunité qui encourage la révolte et la guerre civile. La loi range au nombre des sociétés secrètes toutes les associations politiques qui existent, sans avoir accompli les formalités prévues par le décret du 28 Juillet 1848. Si donc des réunions de ce genre venaient à se former, vous séviriez avec rigueur contre ceux qui en feraient partie. Les comités directeurs de Paris ont pour coutume d’envoyer dans les départements des émissaires chargés d’établir d<-s centres de propagande et de pervertir l’opinion.