Page:Jaurès - Histoire socialiste, X.djvu/68

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« faire disparaître du costume ainsi que des mœurs les derniers vestiges de l’anarchie ».

L’asservissement était complet ; le système de compression du second Empire ne le cédait en rien à celui du premier. Mais la compression seule est insuffisante pour gouverner. Elle n’est efficace que contre des minorités ou contre un peuple découragé, abattu. Napoléon III, l’élu du plébiscite, tenait à être, à demeurer un souverain populaire. Il y avait des corps, il y avait des classes auxquelles le second Empire était sympathique, auxquelles il apportait des satisfactions et dont il voulait conserver l’appui. Quant aux autres, il ne désespérait pas, par une politique habile, de les gagner à sa cause.

D’abord, et avant tout il s’appuyait sur l’armée, l’armée si fortement travaillée pendant tout le temps de la présidence, l’armée qui avait fait le coup d’État et opéré par toute la France contre les républicains. « Avec elle, par elle, pour elle doit être désormais sa devise ». C’est M. de Hubner encore qui le note (p. 51) : et cet observateur, en effet, a bien noté le coup de force, le pronunciamiento, qu’a été décembre. Dans les années antérieures, il est vrai, de nombreux régiments avaient donné la majorité aux rouges. Au coup d’État, encore, lorsque l’armée vota, quarante-huit heures après le 2 décembre, 37.359 officiers ou soldats avaient voté non, contre 303.290 oui. Les quatre officiers d’artillerie attachés à la garde du Palais-Bourbon avaient voté non sur des registres. Quel que fût le mécontentement de certains, tous cependant obéirent. Bosquet lui-même, le général républicain, après avoir demander sa mise en disponibilité, s’inclina. Il n’y a personne de plus empressé que les soldats pour rallier la victoire.

Mais si l’armée docile assurait la force au gouvernement, ce n’était point sur elle surtout qu’il pouvait compter pour propager sa popularité, pour rallier des masses de plus en plus nombreuses.

Napoléon III avait le clergé ; il avait pour lui « la société chrétienne ».

L’auteur du coup d’État était-il personnellement religieux ? Les écrivains catholiques qui l’affirment sont contraints de reconnaître, comme par exemple M. de la Gorce, que c’était « avec de grandes lacunes du côté des actes et des mœurs » ( !). Mais l’état des partis, le rôle joué par le clergé pendant toute la durée de la deuxième République, enfin, ici encore, l’imitation calculée de Napoléon Ier, restaurateur des autels, tout poussait le nouvel Empereur à entretenir l’alliance avec le parti catholique. C’était l’Église qui était devenue le rempart de l’ordre social ; c’était autour d’elle, et non plus autour des vieilles bannières monarchiques que les conservateurs s’étaient ralliés. Dans leur intérêt réciproque, Napoléon III et elle devaient rester unis. Au lendemain même du coup d’État, Montalembert s’était officiellement rallié. Le 12 décembre, il avait invité les catholiques à accepter le nouveau pouvoir « pour éviter la ruine du pays ». L’Univers fut dès lors