Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/117

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une autre que la Liberté perdue et recouvrée. Pour moi, je n’en vois pas qui puisse peser encore autant qu’un univers. »

Au demeurant, ce n’est pas sans défiance ni sans tristesse que Quinet voit l’avènement en Europe des grandes nations massives. Qui sait si elles serviront de support à la liberté et au droit, ou si elles n’écraseront pas sous leur masse compacte la liberté et le droit ? La conscience européenne est singulièrement tiraillée et incertaine. Elle adore la force, mais en essayant de se persuader que les victoires de la force préparent les victoires du droit. En tout cas, il n’est qu’un moyen de dissiper cette ambiguïté funeste. Ce n’est pas d’opposer à des entreprises douteuses d’autres entreprises douteuses ; ce n’est pas, notamment pour la France, d’empêcher ou de retarder l’inévitable unité allemande, mais c’est de redevenir la nation de la liberté. Qu’elle ne s’attarde pas à des combinaisons bâtardes. De même qu’en aidant d’abord à la libération de l’Italie, en la contrariant ensuite, elle détourna d’elle, par un bienfait tronqué et contradictoire, la reconnaissance du peuple italien, ce n’est pas par une parodie de liberté, ce n’est point par un triste mélange de liberté menteuse et de césarisme qu’elle appellera à elle la sympathie de la démocratie européenne. C’est seulement par la liberté intégrale que la France assurera dans la paix son relèvement national et moral. C’est par là seulement qu’elle pénétrera d’un esprit nouveau, l’esprit du droit, la politique européenne qui n’est qu’une politique de masse. Noble et sévère appel fait d’amertume et d’espérance. Comme ce qu’il contenait de méfiance et de tristesse avait irrité quelques susceptibilités allemandes, Quinet tint à les rassurer par une vigoureuse déclaration de paix, d’amitié, de démocratie : et le 20 janvier 1867, il écrivait de sa maison d’exil, de Veytaux, dans le canton de Vaud, à un démocrate allemand ; « Monsieur, dans votre généreuse lettre, j’aime surtout à voir un serrement de main de la démocratie allemande à la démocratie française. J’y réponds à la hâte, mais de grand cœur. Un signe semblable de sympathie à travers d’inévitables dissentiments n’eût pu se trouver en 1813 ; il eut été même difficile à rencontrer en 1830 et en 1848. Vos nobles paroles auront de l’écho de l’autre côté du Rhin.

« Vous avez vu clair dans ma pensée. Ce n’est pas vous, Monsieur, qui m’accuserez de vouloir (chose impie) brouiller la France et l’Allemagne. Leur alliance m’a toujours paru le salut de nos temps ; et je ne dis pas seulement l’alliance des cabinets, mais l’entière communication des esprits qui, différents en tant de points, sont faits pour se compléter les uns par les autres. Le jour où cette union s’accomplira inévitablement, sera une des grandes dates de la civilisation. Tous les hommes amis de l’humanité applaudiront à la fois. Pour ma part, je n’ai cessé de travailler à préparer ce jour ; je n’irai pas me démentir en ce moment.

« Pour qu’une pareille union se forme loyalement, la main dans la main, que faut-il, Monsieur ? La lumière. Et qu’est-ce aujourd’hui que la lumière