Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/123

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Il faut que la France en finisse une fois pour toutes avec les préventions injustes que l’Allemagne peut avoir connues contre elle, et pour cela, Messieurs, il faut qu’avec une loyale fierté elle déclare qu’elle ne veut plus de conquêtes. (Très bien, très bien, autour de l’orateur.) Que ce fantôme de la rive gauche du Rhin, qu’on présente toujours comme un obstacle entre l’Allemagne et elle, la liberté le fasse complètement évanouir. Non, non, Messieurs, la France régénérée n’a pas besoin de se faire la gardienne de la pierre tumulaire de Charlemagne et de pousser la ligne de ses légions jusqu’à l’antique cité de Cologne.

« M. Émile Ollivier. — Très bien.

« Elle tendra la main à l’Allemagne : elle lui dira que, désintéressée désormais de toute espèce de projets de conquête, elle se sent assez forte pour faire avec elle une loyale alliance.

« Nous voulons être pacifiques, Messieurs, sachons tout d’abord être libres : mais pour cela, encore une fois, il faut que dans les alliances elle observe ces règles de prudence dont je parlais tout à l’heure. Elle doit, dans ces questions comme dans toutes les autres, s’interroger elle-même et consulter son histoire : elle y trouvera à chaque page cette leçon, qu’elle a toujours tenu sa place dans le monde par sa grandeur et par sa prépondérance morale, et son génie d’émancipation civilisatrice est tel que même sous la monarchie absolue, même lorsqu’elle s’appelait Richelieu et Louis XIV, elle combattait les puissances qui avaient la prétention d’asservir l’Europe, et il ne nous est pas possible d’oublier cette parole de Richelieu à ses plénipotentiaires : « Inspection constante de l’Angleterre, abaissement permanent de la maison d’Autriche ».

« Les temps ont marché, tout a changé autour de nous ; ce qui inquiétait Richelieu n’existe plus : ce colosse qui portait la double couronne de l’empire d’Allemagne, de l’Espagne et des Alpes a été brisé, mais la France ne doit pas permettre que, sur ses assises, un autre géant vienne appeler l’Allemagne à une sorte de guerre sainte contre elle, et elle doit pour cela veiller sans cesse ; elle doit prendre pour devise, devise qui la rendra victorieuse sans combat, ces mots magiques qui seront entendus de l’Allemagne : désintéressement complet de tout esprit de conquête, et pratique courageuse de la liberté. (Vive approbation autour de l’orateur.)

C’est un mélange d’idées singulièrement troubles. Il est excellent de proclamer que la France répudie toute pensée de conquête, qu’elle ne revendiquera pas la rive gauche du Rhin, qu’elle veut la paix et la liberté : mais à l’égard de l’unité allemande, c’est-à-dire à l’égard du problème qui passionne le plus l’Allemagne, quelle sera l’attitude de la France ? C’est le point sur lequel il fallait être le plus net, le plus rassurant, et Jules Favre est ou obscur ou agressif. Il se fait juge des moyens par lesquels la nation allemande parviendra à l’unité, et il lui interdit d’y arriver sous la discipline de la Prusse. Il ne voit pas que c’est en s’opposant à l’action allemande de la Prusse qu’il amènera celle-ci à une politique belliqueuse contre la France. Et aux petits États dont il