Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/124

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

veut gagner la sympathie, quel langage tient-il ? quel rôle leur assigne-t-il ? Ils seraient « les alliés de la France », et cela suffirait à les compromettre en Allemagne.

Il aurait fallu leur dire : L’heure est venue où toutes les forces de l’Allemagne tendent à s’organiser. Que les petits États ne se désintéressent pas de cette œuvre, qu’ils y contribuent au contraire pour lui donner un caractère libéral et pacifique. Mais, les paroles de Jules Favre ne pouvaient qu’irriter l’Allemagne ; elles lui fermaient la solution prussienne, elles ne lui en ouvraient pas une autre. Que l’unité allemande fût formée par la Prusse ou par le libre concours de tous les États, l’Allemagne nouvelle était toujours « un géant » ; et ce géant, il semble bien que Jules Favre le redoutait en tous les cas.

Quand survint la grande crise de Sadowa, l’occasion lui était bonne de dénoncer l’imprévoyance, l’incohérence de la politique impériale qui avait spéculé sur la défaite ou tout au moins la demi-défaite de la Prusse pour faire la loi à l’Europe et intervenir en Allemagne souverainement. Il avait bien raison aussi de condamner, de rejeter les arrière-pensées d’agrandissement territorial qu’avait nourries l’Empire et qui ne pouvant s’exercer qu’aux dépens de l’Allemagne devaient surexciter celle-ci contre nous. Mais encore une fois ce n’est pas seulement de l’intégrité de l’Allemagne qu’il s’agit : c’est de son unité. L’Empire avait deux idées fausses et funestes : profiter des complications allemandes pour saisir une partie du territoire allemand ; s’opposer à l’entière unité allemande. Jules Favre dénonce la première faute, mais il s’associe à la seconde, au moins dans une large mesure.

Et il aboutit à la politique la plus contradictoire et la plus confuse. La question italienne, en se mêlant à la question allemande, avait embarrassé les démocrates français. L’Italie s’était alliée à la Prusse contre l’Autriche, afin de saisir la Vénétie : Jules Favre et ses amis, qui désiraient tout à la fois le succès de l’Italie et l’insuccès de la Prusse, étaient placés par les événements dans une situation fausse. Évidemment, si l’Empire, en 1859, ne s’était pas arrêté à mi-chemin, s’il avait poussé jusqu’au bout l’œuvre de l’indépendance italienne, s’il n’avait pas consenti ce traité de Villafranca, qui laissait la Vénétie à l’Autriche, cet embarras leur eut été épargné : mais l’Empire pouvait-il, en 1859, s’avancer jusqu’à Vienne sans soulever contre lui toute l’Allemagne ? Jules Favre, dans son discours du 18 mars 1867, prétend que ce déplorable traité de Villafranca, qui a préparé l’alliance de l’Italie et de la Prusse, a été un acte de faiblesse, que le prétendu sentiment de l’Allemagne était « un fantôme », invoqué pour couvrir la débilité et l’incertitude de la diplomatie impériale. Jules Favre se trompe. L’Allemagne voyait avec épouvante la marche d’un Napoléon sur une des capitales de la race germanique. Il n’y aurait eu qu’une chance de la rassurer : c’eut été de lui dire : Non seulement la France ne veut pas vous enlever une parcelle de votre sol et de votre indépendance,