Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/126

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l’Allemagne à n’être qu’un instrument pour des desseins étrangers. C’était le meurtre d’une grande nation : c’était la nationalité allemande servant de rançon à la nationalité italienne : c’était, en même temps qu’un crime contre l’Allemagne, un crime contre l’Italie, dont l’unité apparaissait non plus comme une victoire du droit mais comme le caprice du despotisme napoléonien. Ou si l’Autriche, sans prétendre à la domestication totale de l’Allemagne, s’était contentée de quelques remaniements territoriaux, si par exemple elle avait seulement affaibli la Prusse en lui enlevant la Silésie comme dédommagement de la Vénétie perdue, c’était l’Allemagne divisée à jamais entre deux influences implacablement hostiles : c’était le déchirement mortel de la patrie allemande. Voilà la conséquence de la victoire franco-autrichienne. Mais quelle force morale cette entreprise de violence aurait donnée à la Prusse ! Du coup, pour toute l’Allemagne, l’Autriche devenait l’ennemie. C’est elle qui en introduisant au cœur de l’Allemagne les armées françaises, les armées d’un Napoléon, aurait assumé le lourd héritage de défiance, de haine laissé aux cœurs allemands par le grand envahisseur.

M. de Bismarck l’aurait dénoncée à l’indignation et au mépris de tous les Allemands. La voilà cette Autriche ignominieuse qui n’ayant pas eu le courage et la force de défendre en Italie son patrimoine contre l’Empereur des Français, vient chasser avec lui en terre allemande. Par elle, par l’Autriche félonne, l’Allemagne va être de nouveau livrée, dépecée. Oui, si elle ne se défend pas jusqu’à la mort. Qu’elle se lève comme en 1813. Qu’elle proclame sa grande unité, et qu’elle fasse savoir au monde qu’elle est résolue à périr plutôt que de subir de nouveau le joug. Comment Jules Favre a-t-il pu soutenir une pareille hypothèse si sa conscience l’avait entrevue ? ou par quelle étourderie funeste a-t-il pu oublier qu’il y avait une Allemagne vivante et palpitante qui ne se laisserait ni asservir, ni mutiler ? Quoi ! il ne cessait de dire à l’Empire, et avec raison, que toute menace de la France sur les bords du Rhin grouperait autour de la Prusse toute l’Allemagne ! et il s’imagine qu’une intervention armée de la France, au cœur de l’Allemagne, n’aura point le même effet ? Visiblement, tant que la démocratie française n’accepte pas la pleine unité allemande, elle se condamne elle-même aux pires aberrations. Ce qu’aurait été la politique de Jules Favre avant Sadowa, on vient de le voir. Après Sadowa, il ne veut plus de l’alliance avec l’Autriche, mais sa pensée inconsistante n’aboutit encore qu’à de piètres expédients. Il commence bien à reconnaître la force d’unité qui travaille l’Allemagne, mais il veut la faire tourner en Confédération, non pas pour qu’elle soit plus libre, mais pour qu’elle soit moins forte ; et il rêve d’une alliance de la France avec les rois allemands, inquiétés et dépossédés, dont le particularisme dynastique est un élément de réaction. « Je reconnais à merveille que cette grande contrée, qui s’étend de la Baltique aux Alpes et du Rhin à la Vistule, tient groupées dans son sein des nations qui peuvent avoir de très grands points de ressemblance, mais nul ne contestera qu’à côté des points