Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/131

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qui nous paraîtrait la plus sage ? j’entendais dire par un des honorables orateurs qui m’ont précédé à cette tribune que le désarmement n’était possible qu’à la condition de le faire de concert avec tous les autres peuples. Ah ! Messieurs, si vous jetez en Europe une semblable motion, c’est à la famine que vous la condamnez par cette loi perpétuelle des armements. Non, non, il faut qu’une puissance ait le courage de se prononcer, et cette puissance ce sera la plus forte, la plus sage, la plus glorieuse, celle qui n’a pas besoin de faire ses preuves, et qui mettant ainsi l’épée au fourreau apprendra au monde qu’il est temps d’entrer dans l’ère de la paix ». (Nouvelle approbation du même côté.)

Qu’on le remarque bien : Sous le couvert mystique de la Providence, Jules Favre procède à la liquidation de toutes ses opinions antérieures. Ou plutôt il les redresse toutes. Si la question du Sleswig a pris cette ampleur, ce n’est pas à cause de l’ambition prussienne mais parce qu’il y avait une profonde agitation allemande, un appétit d’unité et d’action nationale qui cherchait une occasion de se satisfaire. Si la Prusse a vaincu l’Autriche à Sadowa, c’est parce qu’elle représentait alors une idée supérieure, un commencement de liberté politique et intellectuelle opposé au vieil absolutisme monarchique et catholique. Il faut que l’Allemagne sache bien que son grand effort n’a laissé dans l’esprit de la France aucun ombrage. Pourtant, on attendait de Jules Favre un mot de plus, un pas de plus, le pas décisif, sur le chemin de la conversion. Il ne suffit pas d’accepter sans amertume ce qui a été fait. Il faut accepter d’avance ce qui se prépare, c’est-à-dire l’unité allemande intégrale par le rapprochement de l’Allemagne du Nord et de l’Allemagne du Sud. Ce mot, Jules Favre ne le dit pas le 4 juillet : mais, comme s’il voulait dissiper toute obscurité et ouvrir enfin une large route lumineuse à la politique de paix et de démocratie, il se prononça le 8 juillet. Il oublie ou il semble oublier qu’il a reproché à l’Empire trop de complaisance pour la politique bismarckienne ; et il s’empare de toutes les paroles que la diplomatie impériale a pu dire dans le sens de l’unité allemande, il s’empare du précédent italien qu’elle a créé pour lui demander d’aller jusqu’au bout et de permettre à l’unité allemande sa pleine expansion même au-delà du Mein, même en dehors des limites du traité de Prague dont l’Empire invoque encore les clauses pour contenir M. de Bismarck.

Il faut que je cite cette partie du discours de M. Jules Favre malgré son étendue, parce qu’on ne pourrait pas mesurer exactement la part de responsabilité de la démocratie républicaine française dans les événements de 1870, si on ne constatait par quel effort de pensée, par quel vigoureux amendement de son propre esprit, elle est parvenue à travers bien des préjugés, bien des conceptions mesquines, à une idée large et claire qui pouvait fonder la paix.

« C’est véritablement du côté de l’Allemagne que sont, je ne dirai pas nos principales, mais je ne crois pas être trop affirmatif en ajoutant, nos seules inquiétudes ; c’est du côté de l’Allemagne que se sont opérés les plus grands déplacements de force, les reconstitutions territoriales, les transformations