Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/139

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de Jules Favre pour détourner de la France, en 1870, la grande épreuve de la guerre.

Mais l’homme qui avait le mieux compris, dès l’origine de la crise, la légitimité, la nécessité de l’unité allemande, celui qui avait le mieux vu et dit le plus nettement depuis 1865, depuis l’affaire des duchés, que la France n’avait pas le droit de s’opposer à l’effort d’unité de l’Allemagne, et qu’elle ne le pourrait sans compromettre à la fois la liberté et la paix, c’est M. Émile Ollivier. Il avait devancé en ce point de plusieurs années le manifeste républicain de 1868, et il semblait ne s’être séparé en ces questions de ses amis républicains que pour aller d’un pas plus décidé et plus rapide dans la voie où ils s’engageaient à leur tour. Un tragique destin pèse sur cet homme ; mais le jugement de l’historien ne doit pas en être accablé. J’essaierai de préciser ses responsabilités, et je crois, après un examen impartial, qu’elles sont terribles ; car plus il avait vu nettement la droite voie, plus il est inexcusable d’avoir laissé la fortune de la France, quand il était au pouvoir s’engager dans le chemin qui mène à l’abîme. Mais le premier devoir, c’est d’essayer de comprendre.

Dès qu’il est entré au Corps législatif, c’est pour une politique de paix que M. Émile Ollivier se prononce, mais de paix franche, certaine, assez sûre d’elle-même pour pouvoir désarmer. Il dit le 6 juin 1861 : « Ce que je considère comme néfaste pour le pays, pour sa prospérité, pour son repos intérieur, c’est cette paix indécise et sans sécurité, c’est cette paix d’où l’on craint toujours de voir sortir la guerre, qui cependant n’est pas la guerre ; cette paix qui ressemble au temps orageux où les nuages, chargés de tempête et d’électricité, passent au-dessus de notre tête sans éclater, mais en fatiguant, en énervant, en ôtant la force. Je demande donc au Gouvernement, et je puis le faire sans être chimérique, car dans les questions européennes (j’ai cet orgueil pour lui comme pour mon pays) il a une telle influence que lorsqu’il veut résolument une chose, il y a une grande espérance que cette chose soit. Je demande au gouvernement qu’après avoir conclu des traités de commerce, il pose nettement à l’Europe la question des traités de désarmement. Que la France sache quelle est sa situation ! S’il y a des questions d’honneur, des questions de liberté à vider par les armes, nous sommes prêts à les soutenir ; le pays fera des efforts énergiques, vigoureux. Si, au contraire, nous devons, grâce au respect du principe de non intervention, grâce à une politique expansive, libérale, mais non armée, si nous devons surtout songer à développer la puissance, la liberté, la sécurité intérieure, eh bien ! alors, après avoir fait les traités de commerce, faites les traités de désarmement. »

À vrai dire, M. Émile Ollivier qui était un des cinq, ne faisait que traduire alors le thème commun du parti républicain renaissant. C’est de même la pensée commune des républicains qu’il exprime lorsque, dans un discours du 12 mars 1862 sur la question romaine, il déclare très haut que le pouvoir