Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/188

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n’avait pas prévu que la chose prendrait feu si vite. C’est à la convocation des Cortès qu’était d’abord ajourné le drame ; d’ici là, le plus simple et aussi le plus habile c’était d’affecter un grand air de tranquillité et de détachement. Qui pourrait penser en Europe que, par les soins de M. de Bismarck, un cataclysme se préparait, quand on le saurait, lui et ses plus hauts guerriers, dans la douceur des solitudes ?

Et puis, ne fallait-il pas prendre des forces pour l’heure prochaine du branle-bas diplomatique et militaire ? Mais avec de l’adresse, du calme, de la raison, il était facile au diplomate français d’obliger M. de Bismarck, déconcerté par la trop hâtive explosion de la bombe, à sortir de sa retraite pastorale et à prendre devant le monde sa responsabilité. M. de Gramont se précipita comme un aveugle et comme un furieux. La France avait assez ajourné, assez concédé, assez plié ; les amertumes refoulées de Sadowa remontaient du cœur aux lèvres ; l’applaudissement espéré des hommes de dictature et de réaction grisait d’avance le noble duc. À tous les gouvernements européens : à l’Angleterre, par son ambassadeur à Paris, lord Lyons ; à la Russie, par notre envoyé, le général Fleury, il fait connaître, dès le 5 juillet, que si la Prusse ne cède pas « c’est la guerre ». Et, le 6 juillet, répondant à l’interpellation de M. Cochery, qui siégeait entre le centre gauche et la gauche, M. de Gramont lisait au Corps législatif, une hautaine et tranchante déclaration pleine de menaces :

« Il est vrai que le général Prim a offert au prince Léopold de Hohenzollern la couronne d’Espagne et que celui-ci l’a acceptée. Mais le peuple espagnol ne s’est point encore prononcé, et nous ne connaissons point encore les détails exacts d’une négociation qui nous a été cachée. Aussi, une discussion ne saurait-elle aboutir maintenant à aucun résultat pratique. Nous vous prions, Messieurs, de l’ajourner.

« Nous n’avons cessé de témoigner nos sympathies à la nation espagnole et d’éviter tout ce qui aurait pu avoir les apparences d’une immixtion quelconque dans les affaires intérieures d’une noble et grande nation, en plein exercice de sa souveraineté ; nous ne sommes pas sortis, à l’égard des divers représentants au trône, de la plus stricte neutralité, et nous n’avons jamais témoigné pour aucun d’eux ni préférence, ni éloignement.

« Nous persisterons dans cette conduite. Mais nous ne croyons pas que le respect des droits d’un peuple voisin nous oblige à souffrir qu’une puissance étrangère, en plaçant un de ses princes sur le trône de Charles-Quint, puisse déranger, à notre détriment, l’équilibre actuel des forces de l’Europe, et mettre en péril les intérêts et l’honneur de la France.

« Cette éventualité, nous en avons le ferme espoir, ne se réalisera pas. »

« Pour l’empêcher nous comptons, à la fois, sur la sagesse du peuple allemand et sur l’amitié du peuple espagnol. S’il en était autrement, forts de votre appui, Messieurs, et de celui de la nation, nous saurions remplir notre devoir sans hésitation et sans faiblesse ».