Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/196

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prince de Hohenzollern et l’acquiescement explicite du roi ; il était chargé, ce qui est bien différent, de provoquer, d’obtenir l’initiative du roi pour qu’il ordonnât ou conseillât le désistement du prince prussien ». Et l’on voit l’intérêt du débat entre les deux hommes. Si Benedetti a bien compris les instructions de son chef, il a réussi dans sa mission, car il a obtenu que la candidature du prince de Hohenzollern fût retirée avec le consentement du roi de Prusse, et la guerre n’a éclaté que parce que, à ces instructions premières, se substituèrent soudain d’autres exigences.

Mais surtout on voit l’intérêt de M. de Gramont à prétendre que, dès l’origine, il a voulu non pas seulement, non pas surtout le retrait de la candidature Hohenzollern, mais que dans le retrait apparût l’initiative du roi de Prusse ; par là, il y a une sorte de continuité dans sa politique, et il échappe au reproche d’avoir soudainement formulé des exigences nouvelles, quand les premières avaient reçu satisfaction. Mais que M. de Gramont dise la vérité ou qu’il nous trompe, ou qu’il se trompe lui-même, sa responsabilité reste également terrible. S’il est vrai qu’il se fût contenté d’abord du retrait de la candidature Hohenzollern, avec le consentement du roi de Prusse, il est criminel d’avoir élevé des prétentions nouvelles quand les premières négociations avaient abouti, et d’avoir renversé ainsi les bases de paix que lui-même avaient acceptées. Si, au contraire, comme il essaie après coup de le démontrer, il a voulu dès le début que l’intervention du roi de Prusse se produisit dans des conditions blessantes pour l’amour-propre de ce dernier et pour les sentiments de son peuple ; s’il ne lui a pas suffi, dès la première heure, d’une victoire de fond qui impliquait, quoi qu’on fît, un sacrifice du roi de Prusse ; s’il a voulu tout de suite que ce sacrifice fût éclairé d’une lumière brutale et aggravé jusqu’à l’humiliation, il est criminel encore d’avoir marché ainsi, sous l’hypocrite semblant d’une négociation dérisoire, à la guerre certaine et préméditée.

Non, la vérité est que, dans l’esprit arrogant et louche de ce jésuite orgueilleux, toutes ces pensées diverses ou contraires se brouillaient. Ou il n’a su, ou il n’a pas voulu regarder au fond de sa conscience et de ses desseins. Il n’a pas su, ou il n’a pas voulu donner à ses instructions la forme catégorique et précise qui convenait à la gravité des événements. Il n’a pas dit nettement à Benedetti : Il nous suffira que le prince Léopold retire sa candidature ; car il est bien clair que, s’il la retire, ce sera à la suite d’une intervention du roi de Prusse, et nous aurons ainsi, outre une satisfaction directe et essentielle, une satisfaction d’amour-propre. Donc, en quelque forme que se produise ce retrait, il constitue pour nous un succès, auquel il faut se tenir.

Non, il n’a pas dit cela nettement, et pourtant, la même induction qui lui faisait dire, dans sa dépêche à M. Le Sourd, que la candidature n’avait pu se produire sans le consentement du roi, l’autorisait ou mieux l’obligeait à conclure que le retrait ne pouvait se produire aussi sans le consentement du roi. Lui-même d’ailleurs avoue qu’un moment la question lui apparut en ces