Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/199

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M. Benedetti d’interpréter sa mission dans un esprit de modération et de prudence.

Dans les termes où il la comprenait, il avait, quand il arriva à Ems, des chances d’aboutir. Sans doute, tout ce qui pourrait ressembler à un désaveu de soi-même serait infiniment déplaisant au roi. Mais il ne pouvait pas ignorer que toute l’Europe considérait ou comme une provocation à la France ou comme une imprudence la candidature Hohenzollern. Ceux même qui déploraient et qui blâmaient le langage comminatoire de M. de Gramont désiraient que la funeste candidature de guerre fût écartée. La maintenir c’était, pour le roi de Prusse, assumer la responsabilité d’un conflit terrible, et que toutes les puissances européennes, dans des sentiments très variés, redoutaient presque également. Le roi de Prusse savait, sans aucun doute, que l’Angleterre multipliait les démarches pour apaiser les esprits, pour obtenir, avec moins de véhémence dans les protestations françaises, le retrait de la candidature prussienne. Le tsar lui-même faisait tenir au roi de Prusse, par une lettre, des conseils de modération. Guillaume aurait beau répéter qu’il n’y avait là qu’une affaire de famille ; on accepterait volontiers cette explication si la candidature était retirée ; on n’y verrait, si elle était maintenue, qu’un tour hypocrite pour détourner de soi la responsabilité apparente d’une guerre qu’on déchaînerait en effet. Il était impossible au roi de braver l’opinion européenne, et il accorderait sans doute une satisfaction de fond par le retrait de la candidature si on ménageait dans la forme ou sa dignité ou son amour-propre.

M. Benedetti était arrivé à Ems le 8 juillet à 11 heures du soir. Le roi lui envoya, le 9, M. de Werther pour lui dire qu’il le recevrait dans la journée, entre 3 et 4 heures. Il avait voulu savoir d’abord ce que M. Benedetti venait demander et en quels termes.

Voici comment, par un télégramme du 9 juillet, 8 heures du soir, M. Benedetti rendait compte de son entretien avec le roi :

« Le Roi m’a fait demander à l’heure qu’il m’avait indiquée. M’inspirant des considérations développées dans votre dépêche et de celles que m’a suggérées notre entretien, j’ai fait appel à la sagesse et au cœur de Sa Majesté pour la déterminer à conseiller au prince de Hohenzollern de revenir sur son acceptation. Confirmant ce que m’avait dit M. de Werther, le Roi m’a appris qu’il avait autorisé le prince Léopold à accueillir la proposition du cabinet de Madrid ; mais, comme vous l’aviez prévu, il a longuement insisté sur ce point, c’est qu’il avait été saisi et qu’il était intervenu comme chef de famille et nullement comme souverain, et que son gouvernement était resté complètement étranger à cette négociation. J’ai fait remarquer que l’opinion publique ne se rendrait pas compte de cette distinction, et qu’elle ne voyait, dans le prince de Hohenzollern, qu’un membre de la maison régnante en Prusse. Le Roi est entré dans d’autres considérations qu’il serait trop long de vous transmettre par le télégraphe, et dont je vous rendrai compte dans un rapport. Il m’a assuré,