Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/210

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reprît, par exemple, la détestable politique des compensations territoriales abandonnée depuis 1867 ; le danger était que, dans l’incident Hohenzollern lui-même, il ne manœuvrât de telle sorte que la guerre fût inévitable. Le gouvernement, tout le gouvernement garda le silence ; c’est alors pourtant que M. Émile Ollivier aurait pu défendre la politique de paix. C’est alors qu’il aurait pu dire : Non seulement nous ne soulevons pas d’autres questions que la question Hohenzollern, mais, dans la limite même de cette question, nous ne cherchons à blesser personne. Ce n’est pas une victoire d’amour-propre que nous poursuivons, mais simplement, par le retrait d’une candidature dangereuse, une garantie de sécurité pour la France et un gage de bonne volonté à notre égard. Le silence, ou le quasi-silence des ministres aggrava le malaise et la tension nerveuse ; et, malheureusement, M. Benedetti ne pouvait envoyer ce même jour, 11 juillet, une réponse décisive et qui pût procurer une détente. Dans son récent entretien avec M. Benedetti, le Roi demandait encore un délai. Ah ! s’il avait voulu conspirer avec l’orage eût-il procédé autrement ?

Pourtant, ses raisons étaient plausibles. La crise avait éclaté soudain. Elle avait surpris le prince de Hohenzollern en des villégiatures lointaines. Le roi, pour expliquer ces retards, était obligé de dévoiler peu à peu toutes les machinations scélérates que le chancelier et lui avaient préparées dans l’ombre.

« Sa Majesté a tenu à m’expliquer l’absence du prince Léopold, et m’a appris qu’au moment où il a adhéré aux pressantes sollicitations du maréchal Prim, il avait été entendu que les Cortès seraient convoquées après un délai de trois mois, et que la combinaison serait seulement rendue publique à l’ouverture de l’Assemblée. Le prince Léopold croyait donc qu’il pouvait s’éloigner sans inconvénient, ne prévoyant pas que le maréchal Prim informerait prématurément notre ambassadeur à Madrid de l’arrangement qu’il venait de conclure ». Mais enfin, les choses étaient ainsi, et à moins de vouloir délibérément la guerre, il fallait accorder au roi de Prusse les quelques jours, les quelques heures qu’il demandait pour donner au désistement du prince Léopold un tour acceptable au souverain lui-même. Il laissait échapper d’ailleurs, malgré son dessein de se maîtriser, une irritation croissante et un énervement dont l’insistance de la France n’était pas seule responsable. Surpris par une clarté soudaine dans une manœuvre qui avait besoin de la nuit, il avait conscience de ce qu’a de fâcheux un mauvais coup manqué ; il est toujours cruel à une âme scrupuleuse de ne pouvoir apaiser dans l’orgueil du succès le remords secret d’une entreprise immorale. En cette posture délicate, il avait droit à quelques ménagements. Au demeurant, après quelques paroles de dépit et de vagues menaces, il concluait par une nouvelle, affirmation pacifique : « Il n’y a pas péril en la demeure, et un jour ou deux de retard ne sauraient rien aggraver. Le prince Léopold terminait une excursion en Suisse et en Bavière, et notre insistance, quand il ne restait plus qu’un délai très court pour s’assurer des intentions des deux princes de