Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/304

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À la faveur de ce mouvement de résistance des maires, de la presse et des hommes d’ordre, Versailles estimait aussi l’instant propice pour abattre les cartes. L’Officiel de l’Assemblée nationale avait publié le matin un long exposé de la situation. Le gouvernement y disait et expliquait sa retraite, notait qu’il avait passé ses pouvoirs aux maires chargés provisoirement d’administrer la capitale. Puis il dénonçait le Comité central, sa rébellion marquée par l’exécution des généraux Lecomte et Clément Thomas, adjurait les départements de venir au secours du seul pouvoir régulier pour, avec lui, réprimer la sédition et tirer justice exemplaire des factieux qui besognaient de concert — il en avait preuve certaine — avec les plus détestables agents de l’Empire et nouaient des intrigues avec le Prussien.

À la séance de l’après-midi, le ton montait encore, et, à l’unanimité, l’Assemblée adoptait une proclamation au peuple et à l’armée, œuvre de l’académicien Vitet, qui suait la peur et la haine. Puis, à Langlois, à Brisson, à Léon Say même qui demandaient le droit commun pour Paris, Thiers répondait que la capitale ne pouvait être traitée comme une ville de 3.000 habitants. Enfin, Favre montait à la tribune et, véhément, l’écume aux lèvres, des sanglots dans la voix, prononçait contre la grande cité le plus abominable réquisitoire. D’emblée il s’opposait à toute transaction avec des hommes mettant au-dessus de l’autorité légitime « je ne sais quel idéal sanglant et rapace ». Pas d’attente, pas de temporisation, le combat à outrance, immédiat contre ce Paris « qui accepte aujourd’hui des assassins dans son Hôtel de Ville ». Et sachant son public, il avait le front d’ajouter : « Si quelques-uns des membres de cette Assemblée tombaient entre leurs mains, eux aussi seraient assassinés ». Puis, reprenant son chant du scalp : « L’état de Paris, c’est le vol, le pillage, l’assassinat érigés en doctrine sociale, et nous verrions tout cela sans le combattre !… Pas de faiblesse, pas de conciliation ? Hâtons-nous de faire justice des misérables qui occupent la capitale ». Ce hallali furieux avait mis l’Assemblée en délire. L’amiral Saisset qui avait en poche, en ce moment, sa commission de commandant en chef de la garde nationale s’écriait « Eh bien ! appelons la province et marchons sur Paris ». et toute la droite debout : « Oui, oui, marchons sur Paris ». Thiers, lui-même, eut crainte de cette rage, trop tôt déchaînée à son sens. Il intervint pour calmer les passions, obtint, avec Picard, le vote de l’urgence sur la loi municipale. Mais après cette explosion farouche, qui révélait les sentiments intimes et profonds de tous ces ruraux ligués contre Paris ouvrier et républicain, que pouvait bien signifier cette démonstration anodine et platonique ? La guerre civile était déclarée par Versailles ; rien désormais ne pouvait en conjurer la fatalité.

Le Comité central, lui, honnêtement, loyalement, toujours modérément, s’efforçait d’apprendre la situation vraie à Paris, à la France, à tous. De ses ennemis, — rapprochez ce langage des vociférations sanguinaires de Jules Favre — il disait simplement : « Les auteurs de tous nos maux ont quitté