Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/318

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consciemment, d’autres sans le vouloir, ont sauvé Versailles ; ils sont complices dans l’assassinat de Paris.

Mais n’anticipons pas sur les faits. Nous ne sommes pas encore à la tombée du jour sinistre et sanglante ; nous sommes au matin joyeux de la délivrance. C’est demain que Paris nomme sa Commune.


LA COMMUNE ÉLUE


De l’aveu de toute la presse, même la réactionnaire, les opérations électorales s’accomplirent avec la plus parfaite régularité, sans violences ni troubles d’aucune sorte. Au faubourg Saint-Antoine, les travailleurs se rendirent aux urnes par groupes de cinq à six cents, drapeau rouge en tête, et aux cris de : « Vive la République ! Vive la Commune ! » Ce fut la seule manifestation notable de la journée. Dans la plupart des sections, les dispositions préparatoires au scrutin avaient été prises par des délégués du Comité central, les maires continuant à bouder et persistant dans une obstruction hypocrite et sournoise, là surtout où ils n’escomptaient pas une majorité pour leurs candidats.

Les votants, à tout prendre, furent nombreux, très nombreux ; aussi nombreux qu’ils l’avaient été aux élections des maires, le 5 novembre 1870 ; plus nombreux qu’aux élections des adjoints qui suivirent de quelques jours celles des maires. Sur un chiffre total de 485.569 inscrits, il y eut 229.167 votants. Pourtant la réaction souligna de suite, et elle n’a pas cessé depuis de souligner complaisamment le chiffre des abstentionnistes, 258.803. À première vue, en effet, ce chiffre apparaît élevé. Mais il faut noter que les listes électorales dont on usa dataient du plébiscite de mai 1870, et que d’innombrables modifications s’étaient produites depuis une année — et quelle année ! — dans la composition du corps électoral. D’autre part, il est avéré que, sitôt après la capitulation, dès les communications rétablies avec la province, des Parisiens, en masse, avaient quitté leur ville et n’y étaient pas revenus : 60.000, disent les uns ; 80.000, disent les autres. Thiers, dans sa déposition à la Commission d’enquête, porte même le chiffre à 100.000. Ainsi s’explique mathématiquement l’écart entre le chiffre des votants au 8 février : 328.970, et celui des votants au 26 mars : 229.167. D’autre part, les abstentions se produisirent surtout dans les quartiers bourgeois, les quartiers du centre, où l’exode que nous venons de signaler se doublait d’un second exode, celui des francs-fileurs réactionnaires et thiéristes qui, depuis huit jours, gagnaient sans discontinuer Versailles. La vérité est donc bien que l’on vota beaucoup, principalement dans les arrondissements ouvriers.

Presque partout deux listes se trouvèrent en présence : la liste des maires, et la liste des Conseils de légion et des Comités d’arrondissement. Le Comité central s’abstint religieusement de toute pression, de toute manœuvre. Il