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L’OBSTACLE


À la lumière des procès-verbaux que nous avons publiés, particulièrement à cette intention, il apparaît donc clairement qu’il existe dès le 28 et le 29 mars, à la Commune, les représentants bourgeois enfuis, deux courants, deux tendances antagonistes et que l’un d’eux, le courant centraliste, autoritaire, dispose de la majorité. De cette seconde constatation, les preuves abondent. Nous venons d’en fournir quelques-unes. On pourrait les multiplier depuis le très froid accueil fait au discours du président d’âge, Beslay[1], en raison du fade relent de fédéralisme qu’exhalait sa harangue, issue du même tonneau que la proclamation de Lefrançais, jusqu’à la décision par laquelle la Commune, après une défaillance de vingt-quatre heures, rebaptisait son organe officiel Journal officiel de la République française, repoussant comme une trahison le titre de Journal officiel de la Commune de Paris[2], que certains autonomistes persistaient à préférer.

Comment se fait-il donc que cette majorité ne se soit pas imposée, qu’elle n’ait pas entraîné, subordonné la minorité et n’ait pas gouverné au sens plein et entier du mot ? Pour des raisons extérieures à elle très certainement et que le simple examen des événements nous ont révélées déjà ou nous révéleront, mais aussi pour des raisons intrinsèques qui auraient pu ne pas être ou être à un degré moindre.

En effet, si la minorité avait ses faiblesses et ses tares, la majorité avait également les siennes non moins criantes, non moins funestes. Parmi les hommes de la majorité les plus connus, ceux qui dataient de 48, croyaient trop à la vertu des traditions et des exhumations. Pour être invincibles, il leur suffisait, pensaient-ils, de se draper dans la défroque de 93. Ils n’étaient pas de leur siècle, mais du siècle défunt. Ils ignoraient à plaisir que la lettre tue et que seul l’esprit vivifie et ne concevaient pas que, même et surtout pour une besogne révolutionnaire, à des temps nouveaux, il faut des moyens nouveaux, appropriés.

Les autres, les jeunes, étaient pour beaucoup des violents sans consistance, purs déclamateurs souvent, jouant à l’insurrection, comme ils auraient joué à la guerre, quelques mois auparavant, se gargarisant de formules et se satisfaisant avec. Le révolutionnarisme des uns et des autres était d’apparence et de surface et même, chez les meilleurs, d’intention seulement. Ils sentaient sans doute l’utilité d’une forte centralisation de pouvoir. De cette centralisation,

  1. Le discours de Beslay lui prononcé à la séance du 29 (après-midi). La plupart des historiens de la Commune donnent pourtant ce discours comme prononcé à la séance du 28 et certains expliquent gravement que cette harangue procura à Tirard un de ses arguments pour sa retraite.
  2. Le numéro à enseigne communaliste est celui du 30 mars, paru sous le titre Journal Officiel de la Commune de Paris, 1ère année, no 1. Le 31 mars, l’ancien titre était rétabli. Le numéro paru à ce jour, porte en manchette : Journal Officiel de la République Française, no 90, 3e année.