Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/346

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ils étaient susceptibles, ceux qui avaient quelque littérature, d’esquisser peut-être la théorie ; mais la pratique ne leur agréait pas, ils étaient à cet égard piètrement doués et plus mal entraînés. Enfin, — et c’était encore une autre infériorité pénible et fâcheuse ; — certains d’entre eux, de ceux à qui les luttes passées, les services rendus, les persécutions endurées faisaient précisément une auréole, n’étaient pas socialistes ou l’étaient insuffisamment. Ils servaient une cause qui au fond n’était pas leur, qui ne répondait pas à leurs sympathies et à leurs aspirations secrètes et « dont plusieurs principes, comme le dit Arthur Arnould, pour Delescluze, contredisaient, combattaient même quelques-unes de leurs plus chères convictions ». Le mécanisme dictatorial qu’ils rivaient de monter eut, par suite, en leurs mains, risqué de fonctionner à vide et de ne moudre que le vent. Il est vrai que le mouvement, s’il avait pu s’affirmer et durer, les eut vile dépassés et éliminés.

Voilà, sommairement analysées, les raisons intrinsèques dont nous parlions tout à l’heure, qui paralysèrent la majorité et, par contre-coup, la Commune. Elles pesèrent assurément dans la balance. Elles pesèrent toutefois moins lourdement que les raisons extérieures, les raisons générales qui auraient sévi quelle qu’eût été la composition de la Commune, les capacités techniques de ses membres, l’intimité de leur accord.

Ce sont ces raisons qu’il convient d’envisager maintenant. On les rencontre dans l’état de désarroi extrême et grandissant où se trouvaient, à cette heure, toutes les administrations publiques, désarroi poussé à un tel point que la vie matérielle de la grande cité parisienne risquait, à toute minute, d’en être suspendue et irrémédiablement compromise. Par la manœuvre versaillaise, toute la machinerie d’État et municipale avait été détraquée et les services vitaux que cette machinerie assure : service des approvisionnements, des communications, de la voirie, de l’hygiène, de l’assistance, allaient à vau-l’eau, de plus en plus profondément perturbés dans un fonctionnement qui doit, plus que tout autre, demeurer régulier, automatique. Le plan de Thiers, vieux routier sans scrupules, était ainsi d’acculer Paris à la famine, à la ruine, de l’affoler, de l’altérer, en le plaidant et le maintenant hors des conditions indispensables à toute grande collectivité humaine pour se mouvoir et subsister.

C’était la grève générale des fonctionnaires avant la lettre, et le sabotage avant la lettre aussi, mais retournés, employés par la bourgeoisie contre le Peuple, par la réaction contre la Révolution. Dans ces conjonctures, supposez la Commune composée d’éléments dix fois plus cohérents, dix fois plus conscients des fins à poursuivre et des moyens requis pour les atteindre, et la situation n’en était guère améliorée ; l’obstacle se dressait devant elle aussi haut et infranchissable.

On a dit que la Commune disposait de ressources immenses que nulle autre insurrection n’avait possédées avant elle, et c’est vrai. Une enceinte fortifiée quasi-inexpugnable la protégeait ; elle avait des canons, des fusils, des