Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/348

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disputer aux représentants élus de Paris des lambeaux d’influence. À la vérité, elle ne tira jamais à conséquences graves. Tout au plus peut-on dire que dans la suite, les Conseils de Légion qui représentaient le Comité central dans chaque arrondissement, contribuèrent à entraver la concentration si désirable de tous les pouvoirs militaires entre les mains du délégué de la Commune à la guerre. En tout cas, mis en face d’une Commune outillée pour la gestion et la conduite des affaires, le Comité central eut abdiqué immédiatement toute velléité de compétition et d’insoumission ; il se fut dissous, ce qui eut été le mieux, ou cantonné dans ses fonctions de « grand conseil de famille », comme se plaisaient à dire ses orateurs les plus diserts.

Mais cette œuvre de réfection, de restauration qui s’imposait, malaisée en tout temps, devenait impossible dans les conditions exceptionnelles où se mouvait la Commune.

Du jour au lendemain, talonnée par d’impérieuses nécessités, la Commune avait à réorganiser de toutes pièces, en plus d’une administration militaire et d’une inspection des ateliers de fabrication des munitions et de fabrication et de réparation d’armes, la plupart des grandes administrations publiques : Contributions directes et indirectes, Douanes, Enregistrement, Domaines, Postes et Télégraphes, et la Monnaie, et le Timbre, et l’Imprimerie Nationale : en plus, les services d’ordre municipal : l’Administration des mairies, l’Octroi, l’Assistance, l’Enseignement. Joignez-y encore la Police car, quoi qu’on en eût, on ne pouvait après tout laisser les agents versaillais conspirer dans les cafés des boulevards, dans les salles de rédaction et jusque dans les conseils de la Commune. Ajoutez l’Administration de la Justice et, puisque Paris est Paris, la surveillance des musées et des bibliothèques, la garde et l’entretien de toutes les richesses artistiques et littéraires accumulées dans la capitale. Avec cela, besogne plus urgente s’il se peut, la Commune devait nourrir son peuple, deux millions d’hommes, assurer à ce ventre énorme la quotidienne pâture par l’arrivage régulier des subsistances. Elle devait aussi servir sa solde à la garde nationale, chaque jour quatre cent cinquante mille francs ; elle devait enfin organiser la lutte armée, avoir l’œil aux remparts et aux forts, aux hôpitaux, aux ambulances et aux arsenaux. Tout voir pour tout savoir et pour tout créer, en vingt-quatre heures, sur le champ, car les minutes alors valaient des années.

Œuvre immense, colossale, à désespérer les plus audacieux, les plus confiants ! Pour l’entreprendre avec quelque chance de succès, il eût fallu que, par avance, la Commune eût été certaine du concours entier de centaines et de milliers de partisans dévoués, éclairés et capables. Le compte n’y est guère, quand on vient au fait. Elle eût, c’est vrai, de suite à son service des fractions, de larges fractions de l’ancien petit personnel administratif qui, malgré les sommations de Thiers, ses menaces, ne désertèrent pas le poste commis à leurs soins. Ce furent les employés de l’octroi que nous avons vu, le 29 mars,