Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/394

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portés à la réaction, l’arrêter, la paralyser dans sa marche déjà victorieuse sur le champ de bataille.

Dans toutes les séances de l’Hôtel de Ville, il n’y a pas trace d’une seule intervention sur cet objet. La Commune se contenta d’entendre, quand il le lui fit et parce qu’il voulut le lui faire, le compte rendu financier de Jourde et de l’approuver à l’unanimité. Il est donc particulièrement scandaleux de lire les critiques depuis générales, dont certaines véhémentes, qui ont été dirigées contre la gestion de Jourde, de Beslay, de Varlin, leurs ménagements vis-à-vis de la Banque et les autres grands établissements de crédit, non seulement par les membres de la majorité de la Commune qui ne bougèrent pas plus que les autres, mais même de la minorité comme Malon, comme Lefrançais, comme Ranc, ce qui excède peut-être les bornes.

« La Commune, a écrit ou laissé écrire sous sa signature ce dernier, a été le moins révolutionnaire des pouvoirs insurrectionnels. Si elle avait eu le sens des mesures révolutionnaires, elle aurait brisé le Comité central qui, jusqu’à la dernière heure, n’a cessé de l’attaquer, de la miner sourdement et elle aurait saisi le gage de la Banque de France. M. Thiers alors aurait bien été obligé de traiter[1] ». Réflexions singulières dans la bouche d’un homme qui devait, dès le 5 avril, quitter l’Hôtel de Ville, donner sa démission du poste de combat où il avait été appelé, pour rejoindre les impuissants et fluctuants conciliateurs radicaux qui s’agitaient entre Paris et Versailles. Si Ranc, si Lefrançais, qui fut membre de la Commune et aussi de la Commission exécutive, avaient un goût si prononcé pour les mesures révolutionnaires, s’ils estimaient que la mainmise sur la Banque de France était l’une de ces mesures, c’est pendant qu’ils y devaient songer, non après. En période révolutionnaire, moins qu’à toute autre, nul n’a le droit d’avoir l’esprit de l’escalier. Donc, s’il y eut ici faute commise, occasion exceptionnelle manquée d’obliger les dirigeants réactionnaires et capitalistes à composer et à capituler, la responsabilité en incomba à la Commune en son ensemble qui avait abandonné tout pouvoir en ce domaine comme ailleurs et s’était déchargée sur quelques uns, devenus ainsi, par la force des choses, leurs seuls juges et leurs propres contrôleurs, du soin de veiller à la sécurité et au salut de la Cité et de la Révolution.

Autant et plus que Raoul Rigault à la Préfecture de police, que Jourde au Ministère des finances, que Beslay à la Banque auprès de M. le marquis de Plœuc, sous-gouverneur par Versailles et pour Versailles, Cluseret fut chez lui au Ministère de la guerre. Vingt-huit jours, du 2 avril au soir du 30 avril, il eut licence du côté de la Commune de prendre tout le pouvoir qui lui agréait, d’orienter souverainement à son sens et à son goût l’organisation et les opérations militaires, en dépit des très fréquentes mais aussi très inutiles visites que

  1. Enquête sur la Commune de Paris. Éditions de la Revue Blanche, pp. 93-94.