Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/47

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de leur demander leur consentement. L’Empereur, dans sa lettre du 11 juin, avait dit : « Nous ne pourrions songer à l’extension de nos frontières que si la carte de l’Europe venait à être modifiée au profit exclusif d’une grande puissance, et si les provinces limitrophes demandaient, par des vœux librement exprimés, leur annexion à la France ». Qui parlait encore de cela ? Et, en vérité, le Gouvernement de l’Empereur faisait bien de renoncer à ce simulacre de consultation, à cette comédie. Qu’auraient pu les peuples et comment auraient-ils pu traduire vraiment leurs pensées le jour où ils seraient livrés par une grande nation militaire à une autre grande nation militaire ? Il y a, hélas ! dans cette seule tentative, une violence à la charge de la France, un attentat contre le droit analogue à celui que, quatre ans plus tard, la Prusse consomma contre l’Alsace et la Lorraine.

Ce n’est pas tout : à peine la France, devant le refus brutal de M. de Bismarck, renonce-t-elle à la rive gauche du Rhin, qu’elle élève une prétention nouvelle, plus injustifiable encore. Cette fois, ce n’est plus M. Drouyn de Lhuys, c’est M. Rouher qui la formule. M. de Bismarck, ayant laissé entendre, aux heures critiques, et pour calmer un peu les impatiences françaises, que la France pouvait se dédommager avec des territoires de langue française, la diplomatie de l’Empire se jette sur cette amorce, et M. Benedetti est chargé de soumettre à M. de Bismarck, le 15 août, un projet de traité vraiment monstrueux qui livre à la France la Belgique, restée pourtant tout à fait en dehors du conflit :

« Article premier. — S. M. l’Empereur des Français admet et reconnaît les acquisitions que la Prusse a faites à la suite de la dernière guerre.

« Art. 2. — S. M. le Roi de Prusse promet de faciliter à la France l’acquisition du Luxembourg.

« Art. 3. — S. M. l’Empereur des Français ne s’opposera pas à une union fédérale de la Confédération du Nord avec les États du midi de l’Allemagne, à l’exception de l’Autriche, laquelle union serait basée sur un Parlement commun, tout en respectant dans une juste mesure la souveraineté des États.

« Art. 4. — De son côté, le Roi de Prusse, au cas où S. M. l’Empereur des Français serait amené par les circonstances à faire entrer ses troupes en Belgique ou à la conquérir, accordera le concours de ses armes à la France.

« Art. 5. — Pour assurer l’entière exécution des dispositions qui précèdent, S. M. le Roi de Prusse et S. M. l’Empereur des Français contractent par le présent traité une alliance offensive et défensive. »

Quel titre aura désormais la France impériale pour dénoncer les « entreprises ambitieuses » de la Prusse ? De quelle front pourra-t-elle faire appel au droit des nations ? Sans doute c’est à l’insu du Corps législatif, c’est à l’insu de la France que ces combinaisons étaient tentées, mais quand un peuple par égoïsme ou par peur s’est réfugié dans la toute puissance d’un homme, quand il n’a opposé à la violence d’un coup d’État qu’une molle résistance, quand