Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/498

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en hachèrent la lecture, car rien ne saurait mieux peindre ce que furent les débats devant ce tribunal d’assassins et les autres qui fonctionnèrent à côté :

Merlin. — La parole est au défenseur de Ferré.

Me Marchand. — Messieurs, pour se conformer à la loi, on a dû donner un défenseur à Ferré et M. le Président m’a nommé d’office pour remplir ce devoir. Mon client a déclaré ne pas vouloir de défenseur. Je demande, au nom même de la liberté de sa défense, qu’on lui accorde la parole pour qu’il la présente lui-même.

Merlin (à Ferré). — Avant de vous donner la parole, je dois vous dire que je ne souffrirai rien qui soit un éloge de la Commune. Vous n’avez pas ici à l’exalter, mais seulement à présenter votre défense et à répondre aux accusations dirigées contre vous.

Ferré. — C’est pour me conformer à cette recommandation que j’ai écrit les paroles que je me proposais de prononcer.

Ferré (lisant). — Messieurs, après la conclusion du traité de Paris, conséquence de la capitulation honteuse de Paris, la République était en danger. Les hommes qui avaient succédé à l’Empire, écroulé dans la boue et le sang…

Merlin. — Écroulé dans la boue et le sang… Je vous arrête. Est-ce que votre gouvernement n’était pas, lui, absolument dans ces conditions ?

Ferré. — Ces hommes se cramponnaient au pouvoir, et, quoique accablés par le mépris public, ils préparaient dans l’ombre un coup d’État ; ils persistaient à refuser à Paris l’élection de son Conseil municipal.

Gaveau. — Ce n’est pas vrai.

Ferré. — Le 18 mars, il n’y avait pas encore de loi autorisant les élections.

Merlin. — Je vous préviens une seconde fois ; à la troisième je vous arrêterai et vous retirerai la parole.

Ferré (continuant). — Les journaux honnêtes et sincères étaient supprimés ; les meilleurs patriotes étaient condamnés à mort…

Merlin. — Asseyez-vous, je vous retire la parole et je la donne à votre défenseur, s’il a quelque chose à dire.

Ferré. — Je n’ai plus que quelques lignes à lire et je désirerai surtout lire les dernières qui ne concernent que moi.

Merlin (sur les insistances de l’avocat Marchand). — Qu’il les lise.

Ferré. — Membre de la Commune de Paris, je suis entre les mains de ses vainqueurs. Ils veulent ma tête ; qu’ils la prennent. Jamais je ne sauverai ma vie par la lâcheté. Libre, j’ai vécu ; j’entends mourir de même. Je n’ajoute plus qu’un mot. La fortune est capricieuse. Je laisse à l’avenir le soin de ma mémoire et de ma vengeance.

Merlin. — La mémoire d’un assassin !

Gaveau. — C’est au bagne qu’il faut envoyer un manifeste pareil.