Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/51

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tudes se dissipent, ses inimitiés s’éteignent. En imitant la France, elle fait un pas qui la rapproche de nous. L’Empereur ne croit pas que la grandeur d’un pays dépende de l’affaiblissement des peuples qui l’entourent et ne voit de véritable équilibre que dans les vœux satisfaits des nations de l’Europe. »

Quel malheur que ce manifeste n’ait point paru plus tôt ! Quel malheur surtout qu’il n’ait pas été, dès l’origine de la crise, la règle de l’action de la France ! L’historien allemand Sybel, commentant la circulaire La Valette, y voit la base d’une alliance amicale entre la France et l’Allemagne.

« C’était, dit-il, la répudiation la plus formelle de la politique traditionnelle de la France, de la politique de Mazarin et de Louis XIV, de la politique de la suprématie de la France sur l’Europe entière. Si l’Empereur avait eu la force et le courage d’appliquer avec suite les principes ainsi proclamés, il n’y aurait eu aucun obstacle de fait à l’alliance franco-allemande souhaitée par lui ; il eut été impossible au duc de Gramont et à ses amis d’enflammer la guerre de 1870 : les deux grandes nations ne seraient point en face l’une de l’autre armées jusqu’aux dents, et l’Alsace allemande serait encore aujourd’hui française. Car il est tout-à-fait vain et odieux jusqu’au ridicule de supposer qu’en cette année 1866 Bismarck ait songé à entamer les frontières françaises. Il eut été content si Napoléon s’était conformé aux termes de sa circulaire : si, comme la Russie et l’Angleterre, il avait laissé s’accomplir sans ingérence égoïste, l’unité de l’Allemagne et de l’Italie. Thiers aurait dit sans doute que c’était là une politique cosmopolite et non point française ! C’eut été, en vérité, le souci des vrais intérêts de la France, de ceux qu’elle a en commun avec toute l’Europe, et qui se seraient épanouis plus largement par l’épanouissement des peuples voisins. Ce n’est pas le caractère cosmopolite de la politique de Napoléon qui a nui à la France, c’est l’inconséquence qui a sans cesse faussé les pensées propres de Napoléon par un retour aux vieilles traditions françaises… »

Oui, la paix aurait pu être maintenue et le choc formidable des deux nations aurait été prévenu, mais à deux conditions : La première c’était que le gouvernement de l’Empire prit désormais au sérieux, absolument, définitivement les principes et la politique de la circulaire, et que le pays tout entier les comprit et les approuvât. Était-ce donc impossible ? et cet effort de raison dépassait-il les facultés de la nation ? Il n’était pas permis sérieusement de s’inquiéter pour la sûreté de la France de la croissance de la Prusse et de la constitution de l’Allemagne. La circulaire elle-même le marquait, avec précision et avec force.

« Une Europe plus fortement constituée, rendue plus homogène par des divisions territoriales plus précises, est une garantie pour la paix du continent, et n’est ni un péril, ni un dommage pour notre nation. Celle-ci, avec l’Algérie, comptera bientôt plus de 40 millions d’habitants, l’Allemagne 37 millions, dont 29 dans la Confédération du Nord et 8 dans la Confédération du Sud ; l’Autriche 35 ; l’Italie 26 ; l’Espagne 18 ; qu’y a-t-il donc dans cette distribution des forces européennes qui puisse nous inquiéter ? »