Page:Jaurès - Histoire socialiste, XII.djvu/138

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d’une intransigeance moins accusée. Pour essayer de réparer les fautes graves de M. Beulé, le duc de Broglie se chargea du portefeuille de l’intérieur.

Il y eût désormais en France deux gouvernements : l’un central, officiel, l’autre répandu dans tout le pays, composé des agents de l’administration, des magistrats de toute sorte, des évêques, des curés, des congrégations, et ce fut un assaut d’émulation pour les mesures les plus arbitraires, pour les persécutions les plus odieuses ; pour les menaces les plus insidieuses ou les plus hautaines ; elles n’intimidèrent que quelques natures timides et, au contraire de ce qu’on en escomptait, elles contribuèrent à renforcer le parti républicain de tous ceux que le dégoût, l’indignation contraignirent à déserter le parti conservateur.

L’opinion publique, lasse des débats trop souvent et parfois heureusement stériles de l’Assemblée nationale, reportait son attention sur le procès qui se déroulait et avait trait à un des événements qui avaient le plus profondément ému, indigné la France, tandis qu’elle tentait un suprême effort sur la Loire : la capitulation de Metz. Ce n’était qu’après de longs et laborieux préliminaires que le maréchal Bazaine était appelé à rendre compte de sa conduite dont le résultat le plus clair, le plus immédiat, avait été de rendre sa liberté d’action à l’armée allemande immobilisée sous les murs de la vieille cité lorraine. La justice militaire avait été autrement expéditive avec les fédérés parisiens qui, en collaboration avec l’armée régulière, avaient soutenu un long et pénible siège, dont certains s’étaient héroïquement battus à Montretout et à Buzenval, où ils avaient éloquemment démontré tout ce qu’ils auraient pu faire, si on eût su ou voulu les employer.

Le général Changarnier, à la tribune de l’Assemblée, avait eu l’audace de défendre le traître et M. Thiers lui-même avait hésité à le laisser comparaître devant des juges. Mais il avait fallu, sous peine d’ameuter l’opinion, appliquer strictement les règlements militaires sur la défense des places et le maréchal Bazaine, comme tous les commandants de places ayant capitulé, avait été envoyé devant un conseil de guerre dont la constitution exigea un remaniement de la loi régissant la matière, aucun des quatre maréchaux, ses pairs, de Mac-Mahon, Baraguay-d’Hilliers, Lebœuf et Canrobert, ne pouvant, pour divers motifs, figurer parmi les juges.

Le président du Conseil de guerre fut le duc d’Aumale et le procès s’ouvrit au palais de Trianon le 6 octobre 1873. Nous n’avons pas à transcrire ni même à résumer les longs et souvent confus débats auxquels donnèrent lieu tous les événements qui avaient marqué la période s’étendant de la bataille de Forbach à la capitulation. Le 9 décembre le maréchal Bazaine, à l’unanimité des voix, était condamné à la peine de mort avec dégradation militaire. Mais, à peine le jugement prononcé, les membres du Conseil de guerre s’étaient réunis et avaient adressé au ministre de la guerre une demande de commutation de peine que le maréchal de Mac-Mahon ne refusa pas d’accorder. Le traître