Page:Jaurès - Histoire socialiste, XII.djvu/157

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L’Assemblée nationale s’attachait à l’étude des problèmes constitutionnels ; il n’était plus possible de les éviter, de les ajourner ; chaque élection disait la volonté nette du corps électoral. Une nouvelle manifestation du comte de Chambord allait, une fois de plus, déjouer les manœuvres des droites ; elle n’eut que cette importance, notable cependant, car elle ne trouva d’écho pas plus dans la bourgeoisie que parmi les masses populaires.

L’infortuné prétendant abandonnait, cette fois, le ton intransigeant qui lui était familier et avait fait le désespoir de la majorité de ses partisans. C’était un manifeste tout de transactions, de concessions : « Je connais, disait-il, toutes les accusations portées contre ma politique, contre mon attitude, mes paroles et mes actes.

« Il n’est pas jusqu’à mon silence qui ne serve de prétexte à d’incessantes récriminations. Si je l’ai gardé depuis de longs mois, c’est que je ne voulais pas rendre plus difficile la mission de l’illustre soldat dont l’épée vous protège.

« Mais aujourd’hui, en présence de tant d’erreurs accumulées, de tant de mensonges répandus, de tant d’honnêtes gens trompés, le silence n’est plus permis. L’honneur m’impose une énergique protestation.

« En affirmant que je ne rétractais rien des déclarations sans cesse renouvelées depuis trente ans, dans les documents officiels et privés qui sont dans toutes les mains, je comptais sur l’intelligence proverbiale de notre race et sur la clarté de notre langue.

« On a feint de comprendre que je plaçais le pouvoir royal au-dessus des lois et que je rêvais je ne sais quelles combinaisons gouvernementales basées sur l’arbitraire et l’absolu.

« Non, la monarchie chrétienne et française est dans son essence même une monarchie tempérée qui n’a rien à emprunter à ces gouvernements d’aventure qui promettent l’âge d’or et conduisent aux abîmes.

« Cette monarchie tempérée comporte l’existence de deux Chambres dont l’une est nommée par le souverain dans des catégories déterminées, et l’autre par la nation selon le mode de suffrage réglé par la loi……………………………………..

« Français, je suis prêt aujourd’hui comme je l’étais hier. La maison de France est sincèrement, loyalement réconciliée. Ralliez-vous, confiants, derrière elle ! »

Publié par le journal légitimiste l’Union, s’il n’émut pas l’opinion qui en avait lu d’autres plus hautains, ce manifeste n’était qu’une véritable capitulation ; le drapeau blanc n’y figurait plus et le maintien des vieilles, intangibles traditions en était éliminé, mais il eut une très forte répercussion sur la politique parlementaire. Comme le caractère des pouvoirs confiés au maréchal de Mac-Mahon, malgré la grande déférence affichée, était mis en cause et en doute, au risque de déchaîner la colère des légitimistes, l’Union fut suspendue