Page:Jaurès - Histoire socialiste, XII.djvu/158

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pour une quinzaine. Il n’en fallut pas davantage pour provoquer une interpellation ; ce fut M. Lucien Brun qui la déposa et, le 8 juillet, la développa.

La thèse de l’orateur légitimiste était simple, tellement simple mais précise qu’elle faillit porter un coup mortel au cabinet. Si ses collègues avaient voté la loi qui prorogeait les pouvoirs du maréchal, c’était parce qu’ils avaient compris que cette loi n’enlevait aucun de ses droits souverains à l’Assemblée nationale, c’est-à-dire qu’elle restait toujours maîtresse de proclamer la monarchie. C’était la remise en question du sens exact de la loi. La situation du ministère était embarrassée, car s’il répondait que la loi de prorogation liait l’Assemblée et entamait sa souveraineté constitutionnelle, il s’aliénait les voix des légitimistes, des bonapartistes et de nombreux monarchistes ; pouvait-il, cependant, lui qui avait été choisi par le maréchal-président, déclarer que les pouvoirs du chef de l’État étaient précaires, indéfinis et d’un caractère tellement provisoire que l’Assemblée y pouvait mettre un terme avant la fin du « Septennat » ? M. de Fourtou, ministre de l’Intérieur, tout audacieux et retors qu’il put être, ne sut que patauger et il s’en acquitta à tel point qu’il ne put grouper une majorité autour de l’ordre du jour de sauvetage présenté par M. Paris qui portait : « L’Assemblée, résolue à soutenir énergiquement les pouvoirs concédés pour sept ans au maréchal de Mac-Mahon, président de la République, et réservant l’examen des questions soumises à la Commission des lois constitutionnelles, passe à l’ordre du jour ». Par 38 voix de majorité, le ministère était battu. Même après le rejet d’un ordre du jour du centre gauche affirmant que l’organisation de la République devait servir de base aux pouvoirs du maréchal de Mac-Mahon et l’adoption de l’ordre du jour pur et simple proposé par le général Changarnier, il crut devoir remettre sa démission, mais elle fut refusée par le président de la République qui, le lendemain, adressa à l’Assemblée un message. Ce document avait une grande importance en ce sens qu’il déclarait d’une durée fixe et irrévocable les pouvoirs qui lui avaient été confiés ; qu’ils enchaînaient, de par sa volonté même, la souveraineté de l’Assemblée et qu’il entendait les maintenir, les défendre par les moyens dont il était armé par les lois. C’était là un langage net, précis ; pour la première fois, depuis son élection, le président faisait acte de décision.

Puis, le message invitait l’Assemblée à donner au pays un gage de stabilité par l’organisation des pouvoirs publics ; il chargeait « ses ministres » de faire connaître sans retard à la Commission les points sur lesquels il croyait devoir, plus particulièrement, insister. Ces trois points étaient : 1o la substitution du scrutin d’arrondissement au scrutin de liste ; 2o la faculté pour le gouvernement de nommer une partie de la Chambre haute ; 3o le droit de dissolution de la Chambre des députés avec ou sans le concours de la Chambre haute. Ces projets devaient être placés en première ligne, par conséquent, détachés de l’ensemble des lois touchant l’organisation des pouvoirs publics.

La Commission des Trente estima que les projets présentés par le gouver-