Page:Jaurès - Histoire socialiste, XII.djvu/184

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

rester au pouvoir et faire face aux exigences de la situation nouvelle. À quel élément allait s’adresser le Président de la République ? Logiquement, les gauches formaient la majorité avec l’appoint du centre-droit et des membres de la droite qui avaient voté la Constitution, tels que MM. Buffet et de Broglie ; c’était donc dans le centre-gauche, au moins, que devait être choisie la majorité du ministère. Mais cette solution logique n’était ni à attendre, ni à espérer : elle ne pouvait être dans les vues du Président de la République qui, du reste, par la voie du Journal Officiel avait fait connaître « qu’après comme avant le vote des lois constitutionnelles, il était fermement résolu à maintenir les principes conservateurs qui faisaient la base de sa politique depuis qu’il avait reçu le pouvoir des mains de l’Assemblée ».

De négociations en combinaisons, un ministère naquit. M. Buffet en était la clé de voûte, mais il n’avait accepté cette mission qu’après avoir tâté l’Assemblée nationale en lui demandant de le réélire président : elle l’avait fait, lui donnant ainsi, par anticipation, un vote de confiance. Comme collaborateurs il comptait MM. Dufaure à la Justice, le duc Decazes aux Affaires étrangères, Léon Say aux Finances, Wallon à l’Instruction publique, le général de Cissey à la Guerre, l’amiral de Montaignac à la Marine, le vicomte de Meaux à l’Agriculture et au Commerce, Caillaux aux Travaux publics.

Le 12 mars, le Cabinet se présenta devant l’Assemblée. La déclaration, lue par M. Buffet, était imprégnée du plus parfait esprit réacteur ; elle allait jusqu’à affirmer que, non seulement le personnel administratif ne serait en rien modifié, mais encore que le gouvernement entendait le couvrir. Ce fut de la stupeur dans les rangs de la Gauche et même d’une notable partie de la Droite, car, à quelques jours d’intervalle, on ne pouvait oublier le rapport Savary qui avait si nettement établi la complicité active de nombreux agents administratifs dans la conspiration bonapartiste.

C’est, sans doute, à ce sentiment que fut due la forte majorité qui porta M. le duc d’Audiffret-Pasquier au fauteuil de la présidence, en souvenir de l’attitude très catégorique, très véhémente, qu’il avait fréquemment prise contre les bonapartistes. Un membre de la Gauche, M. Duclerc, fut élu vice-président contre deux membres de la Droite, MM. Lucien Brun et Delsol.

La réaction est au pouvoir et les positions sont nettement prises pour ou contre dans l’Assemblée et dans l’opinion. Les manifestations cléricales continuent un peu partout, encouragées, favorisées, protégées ; sous l’impulsion de cet ennemi juré de toute liberté qu’est M. Dufaure, la presse républicaine est traquée, accablée de prison et d’amendes ; mais les manifestations républicaines se multiplient aussi ; c’est une poussée ardente qui se fait partout sentir, qui résiste aux menaces et entraîne le pays. La propagande en faveur de l’amnistie se développe et groupe de nombreux adhérents ; au cimetière Montparnasse, le 29 mars 1875, plus de 100.000 Parisiens se pressent, escortant le corps d’Edgar Quinet. Victor Hugo, Gambetta, H. Brisson et M. de Laboulaye