Page:Jaurès - Histoire socialiste, XII.djvu/185

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prononcent des discours que la foule applaudit. Elle est ardemment antiroyaliste, antibonapartiste, anticléricale, cette foule ; ce qu’elle veut, c’est aller de l’avant, vers une République vraiment démocratique ; elle se fait entendre, comprendre ; mais voici qu’une scission s’opère ou, pour mieux dire, s’accentue dans le parti républicain proprement dit. M. Gambetta, qui s’oriente de plus en plus vers une politique modérée, est le chef de la fraction qui va porter le titre d’« opportuniste » ; l’autre fraction va se composer de radicaux, de radicaux socialistes et d’intransigeants qui affirment vouloir ne pas déserter le terrain des principes républicains.

Le 23 avril, à Ménilmontant, M. Gambetta expose le nouveau programme qu’il entend suivre, combien différent de celui de « Belleville » qui avait provoqué à la fin de l’Empire de si vifs enthousiasmes. Il apparaît là sous son vrai jour. Il veut la République ouverte à tous ceux qui se rallient à elle avec sincérité ; on peut tirer un profit sérieux de la Constitution nouvelle, malgré ses apparences si imparfaites ; on pourra la perfectionner plus tard, quand l’heure sera venue. Il défend l’institution de ce Sénat dont quelques mois auparavant il était l’adversaire déclaré avec M. Jules Simon qui déclarait que « jamais » il ne se résignerait à voter le projet qui le constituait. Il trouve la formule qui justifie sa création ; il l’appelle le « grand Conseil des Communes françaises ! » Ce sera, dit-il, le moyen de faire pénétrer la politique républicaine dans les communes qui ne seront plus tenues à l’écart du mouvement politique ; par lui, avec son mode de recrutement, les paysans entreront en scène, « ils tiendront leur destinée entre leurs mains ; ils seront les premiers arbitres de la nation », et il se félicite hautement de cet ordre de choses qui va faire des paysans de France la base même, le faisceau de véritables « forces conservatrices ».

Et la foule si ardente qui se presse applaudit avec enthousiasme, toujours facile à émouvoir, à entraîner, quand une voix éloquente se fait entendre et que d’un discours se dégage une formule plus séduisante d’aspect que capable de résister à l’analyse. Puis, il faut en convenir, à cette heure, M. Gambetta est encore le point de mire des haines royalistes et bonapartistes dont l’activité reste toujours assez inquiétante. L’influence de M. Gambetta, toute puissante qu’elle devient de jour en jour, ne peut empêcher le développement du parti radical qui se transforme et accentue son programme afin de barrer la route aux progrès du socialisme renaissant. Dans plusieurs grands centres le parti radical a conquis les municipalités ; à Paris il est majorité à l’Hôtel de Ville ; M. Ch. Floquet, qui, en 1871, a donné sa démission de député, quoique ne prenant pas parti pour le mouvement révolutionnaire, est nommé président du Conseil municipal. En son nom, M. Madier de Montjau a déposé une proposition d’amnistie. Hélas ! il s’écoulera encore des années avant que condamnés, déportés et proscrits puissent revenir en France reprendre leur place au foyer familial.

Jusqu’au 8 mars 1876, date à laquelle l’Assemblée agonisante se prorogera,