Page:Jaurès - Histoire socialiste, XII.djvu/209

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remis en activité, et Bourbaki, l’ancien commandant de la garde impériale, l’homme au voyage mystérieux en Angleterre durant le siège de Metz, à l’énigmatique tentative de suicide à l’armée de l’Est qu’il avait si déplorablement dirigée. En province les troupes assistaient en armes à de véritables manifestations cléricales, et à Paris le piquet commandé pour assister aux funérailles de Félicien David, l’ancien Saint-Simonien, l’auteur du Désert, se retirait parce qu’elles étaient purement civiles !

Tout permettait de présager qu’une lutte grave et suprême allait s’engager et que des efforts allaient être tentés pour ramener le pays dans une voie plus « sage ». Le gouvernement n’avait-il pas un appui sérieux, résolu avec le Sénat qui marquait de plus en plus une opposition effective, en nommant M. Chesnelong sénateur inamovible et en refusant de passer à la discussion des articles du projet de loi adopté par la Chambre qui a trait à la cessation des poursuites pour faits relatifs à la Commune, au dessaisissement des conseils de guerre, projet bien anodin, cependant, puisqu’il ne comporte pas d’amnistie. C’est la chute du cabinet Dufaure, qui se retire le 2 décembre 1876.

Après de longs, laborieux pourparlers, ce fut M. Jules Simon qui accepta la mission de former le nouveau Cabinet. Pour le pouvoir, il était prêt à tous les sacrifices. Le nouveau ministère était constitué le 13, sans grands changements, M. Jules Simon, avec le portefeuille de l’Intérieur, prenait la présidence du Conseil et M. Martel succédait à M. Dufaure au ministère de la Justice et des Cultes. Le maréchal de Mac-Mahon avait exigé le maintien du général Berthaut à la Guerre. M. Méline était sous-secrétaire d’État à la Justice.

M. Jules Simon, qui avait appartenu à l’opposition républicaine sous l’Empire et s’était, à cette époque déjà, rendu suspect à l’ensemble du parti par son modérantisme, malgré toute sa souplesse et son art oratoire fait de nuances très subtiles, allait se trouver dans une situation difficile, délicate. Il était appelé à se heurter aux hostilités de la Droite, aux défiances d’une forte fraction de la Gauche. M. Gambetta pouvait-il oublier que c’était le collègue qui avait été envoyé par le gouvernement de la Défense nationale resté à Paris pour mettre un terme à sa « dictature » ; que la rencontre avait été plutôt vive, qu’elle avait été près de tourner au tragique ?

Néanmoins, la déclaration qu’il fit à la Chambre fut chaleureusement accueillie par les Gauches, en raison des affirmations républicaines dont elle était parsemée. Au Sénat, il n’en alla pas de même, l’accueil fut très froid. Il fallait maintenant gouverner, c’est-à-dire manœuvrer parmi des écueils, entre le Sénat où la Droite était majorité de résistance et d’action, la Chambre où la Gauche, malgré ses divisions, se retrouvait bloc compact quand une question grave, vitale se posait ; le maréchal qui s’effrayait des mouvements passionnés de l’opinion publique, du ton hardi de la presse républicaine, parfois comminatoire des journaux d’avant-garde où sous des initiales, des pseudonymes transparents, des proscrits écrivaient des articles apologétiques du mouvement