Page:Jaurès - Histoire socialiste, XII.djvu/221

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et socialiste qui se dressait, menaçant de tout emporter, ordre, religion, famille et patrie !

Durant quelques jours, qui furent des jours d’anxiété, se succèdent les combinaisons tour à tour les plus singulières et les plus graves. Il est question d’un ministère Batbie ; on parle de la démission du président qu’effare la politique de résistance qu’on préconise autour de lui ; des généraux, des colonels ont insisté dans ce sens. C’est le parti de la modération, de la légalité qui finit par l’emporter et le 14 décembre c’est un cabinet Dufaure qui est constitué, composé de membres de la Gauche, de la Gauche modérée naturellement. M. Dufaure a le portefeuille de la Justice ; M. Waddington est aux Affaires étrangères ; M. de Marcère à l’Intérieur, avec M. Lepère comme sous-secrétaire d’État ; M. Léon Say aux Finances, avec M. Girerd, celui qui, au cours d’une séance mémorable de l’Assemblée nationale, a produit le document établissant la conspiration bonapartiste, comme sous-secrétaire ; M. Bardoux, à l’Instruction publique, avec M. J. Casimir-Périer comme sous-secrétaire ; M. de Freycinet aux Travaux publics ; M. Teisserenc de Bort à l’Agriculture et au Commerce. Le portefeuille de la Guerre a été confié au général Borel ; celui de la Marine à l’amiral Pothuau. Ces deux derniers n’ont pas de passé politique ; ils n’ont été mis en vue par aucune intrigue ; ils passent tous deux pour des tempéraments modérés.

Le 15 décembre 1877, le nouveau ministère, dont la constitution avait provoqué une détente nécessaire, se présentait devant le Parlement avec un message présidentiel. La teneur de ce document n’était que la paraphrase du mot comminatoire de M. Gambetta « se soumettre ou se démettre ». Après avoir eu la ferme intention de se démettre, le Maréchal se soumettait. Il reconnaissait que les dernières élections avaient « affirmé une fois de plus la confiance du pays dans les institutions républicaines et il affirmait sa volonté d’appliquer dans toute sa rigueur la Constitution de 1875, dont les principes seraient désormais ceux de son gouvernement. Il faisait, en terminant, un appel au concours de tous pour rendre l’Exposition universelle très brillante.

Le ministère fut accueilli avec faveur par la Chambre des députes. Ce fut avec un silencieux dépit que la majorité du Sénat écouta la lecture du message qu’applaudissait vigoureusement la Gauche. Elle n’osait blâmer ouvertement le maréchal de son attitude, mais elle voyait s’évanouir ses espérances ; toutefois elle avait la relative consolation de se sentir, en vertu même de la Constitution, le frein de la Chambre ; elle allait jouer ce rôle avec ardeur et ténacité.

En ce qui touche les lourdes responsabilités accumulées durant la période préparatoire des élections, les partis de réaction avaient bien tort de s’alarmer. Les représailles des républicains devaient se borner modestement à des révocations, à des déplacements de fonctionnaires, de sous-ordres qui avaient souvent obéi parce que leur pain tenait à leur emploi. Les grands chefs, les vrais responsables, devaient être épargnés ; l’impunité leur était assurée comme elle