Page:Jaurès - Histoire socialiste, XII.djvu/225

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mandement. À Limoges, un grave incident s’était produit et avait causé dans toute la France une émotion très vive : un officier, le major Labordère, en présence des instructions données par le général Bressolles, avait cru devoir élever une énergique protestation et déclarer qu’il ne consentirait pas à se rendre complice d’un coup de main contre la Constitution et la République. On savait qu’assez nombreux avaient été les officiers qui, sans traduire aussi publiquement leur attachement à la République, n’en étaient pas moins résolus à ne pas « marcher » si l’ordre leur en était donné. Le général Bressolles fut mis en disponibilité ; à cette mesure justifiée, le Cabinet républicain, dans sa timidité, et au nom de la discipline militaire, trouva une singulière compensation : le major Labordère fut mis en non activité par retrait d’emploi. On ne pouvait pas laisser l’indiscipline s’introduire dans l’armée. On qualifiait d’indiscipline le respect de la Constitution et la fidélité au gouvernement légal, à la République ! Et la Chambre, en majorité républicaine approuva. C’était là un encouragement singulier donné aux officiers républicains dont la situation dans l’année était déjà si difficile.

L’usage qu’avaient fait des lois sur le colportage les ministres du 16 mai en amena la refonte dans un sens plus libéral et il en fut de même de la loi sur l’état de siège : elle ne fut pas abrogée, mais amendée en ce sens qu’il ne pouvait être déclaré qu’en vertu d’une loi et pour une durée déterminée « en cas de péril imminent résultant d’une guerre étrangère ou d’une insurrection à main armée ». En cas d’ajournement des Chambres, le président de la République faisait déclarer l’état de siège, mais les Chambres se réunissaient de plein droit deux jours après ; en cas de dissolution, l’état de siège ne pouvait être déclaré, sauf le cas de guerre étrangère et seulement dans les territoires menacés par l’ennemi, à la condition de convoquer les collèges électoraux et de réunir le Parlement dans le plus bref délai ; enfin, quand par suite de la déclaration de l’état de siège le Parlement se réunissait, son premier devoir devait être de statuer sur l’état de siège qui serait levé de plein droit en cas de dissentiment entre les deux Chambres.

Puis fut votée une amnistie touchant les délits et contraventions aux lois sur la presse, les réunions, commis depuis le 16 mai 1876 jusqu’au 14 décembre 1877. Le projet adopté par la Chambre avait un caractère de flétrissure pour le gouvernement du 16 mai et ses agents ; ce caractère lui fut enlevé par le Sénat, dont la majorité ne pouvait aussi rudement frapper ses chefs.

Les questions passionnantes de la politique intérieure à peu près réglées, en ce qui concernait les luttes entre républicains et réacteurs, les éléments de droite allaient fusionner pour former un grand parti de conservation sociale et religieuse, transportant la lutte sur un terrain commun et, dans leur haine de la République, oubliant leurs anciennes divisions ; les républicains eux, jusqu’à cette heure unis devant le danger, allaient reprendre leurs positions, divisés en trois fractions principales : celle qui allait subir l’influence de M. Jules Ferry ;