Page:Jaurès - Histoire socialiste, XII.djvu/238

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Mais l’opinion publique, par un irrésistible courant manifesté dans la presse radicale, dans les quelques organes socialistes, dans de nombreux meetings et réunions, exerça une influence décisive sur M. de Freycinet qui refusa l’extradition en se fondant sur des raisons d’ordre purement juridique. L’ambassadeur russe quitta Paris soudain, mais il y reparut trois mois après. Simple bouderie diplomatique qui n’eut pas d’autres conséquences.

Sur la proposition de Raspail, le 14 juillet fut adopté comme Fête nationale et, à l’occasion de cette première fête républicaine, un projet d’amnistie fut déposé. Les Chambres étaient fort hésitantes, troublées par l’élection du « forçat » Trinquet à Paris, par la candidature de Blanqui à Lyon et le président du Conseil se trouvait perplexe. M. Gambetta descendit de son fauteuil pour défendre la proposition. Dans son discours, il répudia hautement le mouvement du 18 mars et la politique révolutionnaire ; il présenta la proposition comme une mesure politique d’apaisement et elle fut adoptée ; le Sénat devait la voter mais en l’amendant légèrement.

Le caractère modéré, surtout irrésolu de M. Freycinet devait déterminer sa retraite, par suite d’un désaccord assez profond entre lui et le ministre de l’Intérieur qui entendait poursuivre dans toute sa rigueur légale l’application des décrets contre les congrégations. M. Jules Ferry fut chargé de constituer le nouveau ministère dont la politique allait accuser, en les exaspérant, les divisions du parti républicain.

Dans un discours prononcé à Marseille. M. Clemenceau, devenu le chef effectif de l’Extrême-Gauche, chef redoutable, parfois même à ses amis, par son éloquence à l’emporte-pièce, argumentée, son esprit toujours en éveil et caustique, avait publiquement rompu avec M. Gambetta et sa politique ; il l’accusait d’être le chef occulte et réel du gouvernement et il traçait, sous l’impression du développement de la propagande du Parti ouvrier, un programme, bien oublié depuis, dans lequel il réclamait « la liquidation des grandes compagnies de chemins de fer, canaux et mines, et l’exploitation de ces industries par l’ensemble de ceux qui les mettent en œuvre et à leur profit ». Le Congrès de Marseille, tenu l’année précédente, avait donc eu une grande influence, puisque le leader de l’Extrême-Gauche en adoptait, en partie, une résolution qui n’était autre que la nationalisation et la transformation en services publics à forme socialiste de certains organes économiques féodalisés par de grandes compagnies.

Ce n’était là qu’une apparence. Les collectivistes du Parti ouvrier ne devaient pas rencontrer d’adversaire plus ardent que M. Clemenceau. On le constatait déjà, on le put constater encore plus effectivement au cours des meetings contradictoires, des campagnes électorales que, de concert avec quelques militants, l’ouvrier mécanicien Joffrin, revenu de la proscription, allait mener, particulièrement à Montmartre.

Le cabinet Ferry se présenta devant le Parlement le 9 novembre 1880. Son