Page:Jaurès - Histoire socialiste, XII.djvu/253

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Une proposition d’amnistie avait été déposée par Clovis Nuques, député socialiste des Bouches-du-Rhône ; sur la demande du gouvernement elle fut repoussée.

Nous avons déjà noté que la situation politique à l’intérieur était déjà fort troublée à l’avènement du ministère Ferry ; elle s’était exaspérée lors de l’affaire de Lang-Son et les agitations se manifestaient chaque jour davantage. Les obsèques d’Amouroux, ancien membre de la Commune, devenu député de la Loire, et de Cournet, avaient donné lieu à des manifestations importantes ; le drapeau rouge y avait été déployé, des rixes avaient éclaté entre la police et les manifestants. Voici que revenait l’anniversaire de la semaine de mai 1871 ; depuis 1878, les socialistes se rendaient, à cette occasion, au cimetière du Père-Lachaise ; des couronnes d’immortelles étaient accrochées au « Mur des Fédérés » et des discours faisant l’apologie de la Révolution du 18 mars étaient prononcés par les propagandistes. Chaque année cette manifestation avait donné lieu à des incidents plus ou moins graves et les ordres donnés par M. Camescasse, préfet de police, exécutés avec une rare vigueur, n’avaient pas passé sans provoquer de vives réclamations à l’Hôtel de Ville où, depuis 1881, 1882 et 1884, siégeaient des socialistes : Vaillant, Jules Joffrin et Chabert.

En 1885, la manifestation s’annonçait comme plus importante que précédemment. M. Gragnon, qui venait de succéder à M. Camescasse, avait pris des précautions telles qu’on aurait pu se croire dans une ville en état de siège ; des troupes de police avaient été massées aux abords du Père-Lachaise et à l’intérieur du cimetière ; les drapeaux rouges avaient été proscrits ; aussi la manifestation se transforma-t-elle rapidement en cohue passionnée pour la défense des drapeaux révolutionnaires ; au dedans du cimetière, les bagarres prirent des proportions effrayantes ; il y eût de nombreux blessés et il fut procédé à de véritables arrestations en masse. Ces scènes, que rien ne pouvait justifier, provoquèrent une vive émotion jusque dans des milieux hostiles aux socialistes. Il était évident que les mesures prises, sous couleur d’assurer l’ordre, n’avaient eu d’autre résultat que de le troubler ; c’étaient là de condamnables provocations. Le lendemain de la manifestation, le gouvernement se trouva dans l’obligation de déclarer que désormais, si les drapeaux rouges devaient rester proscrits, les bannières de même couleur seraient autorisées. C’était là une concession, minime compensation aux coups reçus et aux arrestations subies.

Ces incidents amenèrent des interpellations à la Chambre et à l’Hôtel de Ville. À la Chambre une intime minorité se rencontra pour protester ; à l’Hôtel de Ville, sur l’intervention du citoyen Chabert et de ses collègues, la majorité éleva une énergique protestation contre l’attitude du Préfet de Police. Quelques jours avant ces incidents, Victor Hugo était mort et des obsèques nationales lui avaient été faites auxquelles participèrent de nombreuses délégations venues de toutes les régions de France et de l’Étranger. Ce fut une brève trêve entre les partis.