Page:Jaurès - Histoire socialiste, XII.djvu/276

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aucun doute sur la culpabilité ; ce fut une générale et pénible impression que causa cette affaire, au cours de laquelle des difficultés, un instant menaçantes, surgirent avec le gouvernement allemand.

M. Casimir Périer avait donné sa démission et le 17 janvier 1895, M. Félix Faure était élu président de la République par 430 voix contre 361 données à M. Henri Brisson.

Par la personnalité même du nouveau président, la période durant laquelle il exerça la magistrature suprême, n’aurait pas laissé grande trace, dans les annales de l’histoire. C’était un politique sans portée, plus préoccupé de son rôle extérieur, de questions de protocole, que de hautes idées en matière politique et sociale. Pour tout dire, c’était un médiocre et sa médiocrité l’avait fait choisir ; on était certain que de l’Élysée il n’exercerait aucune influence sur le gouvernement effectif. Toutefois, dès le début, ses origines modestes, son passé d’employé, puis de commerçant lui valurent une certaine popularité. La presse s’empressa de forger des légendes attendrissantes et, dans le désarroi qui se manifestait un peu partout, on lui fit un mérite tout spécial d’avoir participé à la campagne de 1870-71. Par centaines de mille des Français étaient dans ce cas. Mais, en France, nous avons besoin d’illustration à tout prix ; pour si banale qu’être puisse être, l’imagination lui donne un éclat particulier.

Le point culminant, l’apogée de sa présidence ne fut pas une réforme importante proposée ou réalisée sous son inspiration, simplement son voyage en grand apparat dans le pays des Tzars ; ses excursions militaires dans les Alpes ou dans les régions sillonnées par les troupes en grandes manœuvres il s’y révéla cavalier accompli. Ce fut un émerveillement ; la France bourgeoise se montrait satisfaite de cette gloire d’apparat, de façade, quand, brutalement, l’affaire Dreyfus, réveillée, vint l’arracher à sa quiétude. Des doutes s’élevaient sur la régularité de la procédure suivie par le Conseil de guerre qui avait jugé le capitaine Dreyfus ; on affirmait que le général Mercier, ministre de la guerre, au mépris des règles les plus élémentaires du droit, avait communiqué au Conseil de guerre, sans que l’accusé et son défenseur en eussent pris connaissance, un dossier secret qui avait déterminé la condamnation. C’était là un fait judiciaire sans précédent, inexcusable, inadmissible. Quels motifs l’avaient pu déterminer, autoriser ? Les doutes prenaient corps, une partie bien faible de l’opinion s’étonnait de tels procédés qui ne rappelaient que trop les lettres de cachet et les procédures judiciaires de l’ancien régime. Un sénateur, vice-président du Sénat, homme modéré d’opinions, mais d’une grande droiture de conscience et d’un rare courage civique, M. Scheurer-Kestner, prenait, à la fin de l’année 1897, l’initiative du mouvement révisionniste qui, lentement, allait se créer, susciter les plus grands dévouements, déchaîner les pires passions et provoquer les plus terribles conflits ; provoquer la résurrection de la coalition de tous les réacteurs, de tous les