Page:Jaurès - Histoire socialiste, XII.djvu/306

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

ministère, s’étant abstenue ; d’autre part, des députés socialistes, entre autres. Viviani, Fournière, Antide Boyer et Calvinhac avaient voté contre l’enquête, afin de ne pas créer d’embarras graves au Gouvernement. Leur résolution provoqua de vives récriminations dans le parti où déjà s’accusaient de plus en plus de vives et irrémédiables dissensions. Sur l’ordre du jour qui devait clôturer cette importante discussion, se greffa un nouveau débat qui remit directement en cause l’existence du ministère.

L’ordre du jour pur et simple, sur la demande du président du Conseil, avait été repoussé : un ordre du jour présenté par le député socialiste Renou n’avait groupé que 101 voix et la Chambre avait adopté l’ordre du jour déposé par M. Simyan « comptant sur le Gouvernement pour poursuivre toutes les responsabilités qui avaient été établies par l’enquête judiciaire ». On avait compté sans M. Massabuau qui vint proposer une addition à l’ordre du jour. Elle était d’une perfidie à faire croire qu’elle avait été rédigée dans une jésuitière ; elle portait : « et réprouvant les doctrines collectivistes par lesquelles on abuse les travailleurs ». Le plan de M. Massabuau était d’amener le Gouvernement à des déclarations fermes qui amèneraient une rupture décisive entre lui et les républicains modérés ou les socialistes. Le président du Conseil s’en tira par un artifice oratoire ; n’attachant en apparence aucun caractère sérieux à l’addition proposée, il se borna à cette boutade : « le Gouvernement ne peut y voir (dans les doctrines collectivistes) que l’expression de doctrines philosophiques. » Les socialistes, bien inspirés, ne donnèrent pas dans le piège tendu par le parlementaire également adversaire du Gouvernement et des socialistes. En son nom et au nom d’un grand nombre de ses amis, trente-cinq environ, le député de Paris Rouanet déclara qu’ils voteraient l’ordre du jour même avec l’addition proposée par M. Massabuau. C’était accorder à la proposition du député de l’Aveyron la juste importance qu’elle méritait.

Ainsi que nous l’avons précédemment indiqué, chaque incident surgi parmi la vie ouvrière avait pour résultat d’aviver les désaccords qui se manifestaient dans le parti socialiste. La majorité de ses représentants à la Chambre, prise par les réalités du domaine politique, malgré les vifs regrets que fréquemment elle en ressentait, ne pouvait se décider à faire une opposition irréductible au ministère, cette opposition ne pouvant être profitable qu’à la coalition qui menaçait la République et au parti républicain modéré, hostile à de sérieuses réformes sociales. Sinon l’extrême-gauche, du moins le parti radical était au pouvoir, sa tâche politique constituait une œuvre commune à tout le parti républicain : cette tâche était-il prudent de l’entraver ? Puis, n’était-il pas utile, même à la propagande socialiste, de voir ce que le radicalisme était capable de tenter, de réaliser en faveur des travailleurs ? s’il réalisait quelques réformes sérieuses, ce serait autant de gagné pour le prolétariat dont la situation est si pénible, parfois si douloureuse ; s’il ne réalisait rien, ce serait une faillite qui conduirait directement dans les rangs socialistes sa clientèle de travailleurs,