Page:Jaurès - Histoire socialiste, XII.djvu/37

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l’Assemblée, par son vote, de les recommander à l’examen sérieux et bienveillant du gouvernement. C’était un ordre plus qu’une indication.

M. Thiers, qui avait approuvé l’expédition romaine en 1849, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur ; qui, sous l’Empire, s’était opposé de toutes ses forces à la collaboration de la France à l’unification de l’Italie, comprit le danger de la situation. Après avoir évoqué son attitude constante, avoir affirmé toute sa déférence envers le chef de l’église, il exposa les dangers de toute nature que pouvait entraîner le vote réclamé par le rapporteur. « Il y a aujourd’hui un royaume d’Italie qui compte dans les grandes puissances européennes. Que voulez-vous y faire ? Il ne faut pas nous imposer une diplomatie qui aboutirait à ce que vous désavouez, la guerre. Ne nous imposez pas, sous des termes couverts, une tâche que vous n’accepteriez pas vous-mêmes.

« L’Europe tout entière accepte l’Italie. Eh bien ! mettez-vous à ma place ; je regrette d’affliger les catholiques, mais si toutes les puissances entretiennent avec l’Italie d’excellents rapports, que voulez-vous que j’y fasse ? Mais, dites-vous, il ne faut point accepter la doctrine des faits accomplis. Mais quand toute l’Europe compte avec l’Italie, voulez-vous que je prépare avec elle des rapports compromettants pour l’avenir ? Je ne puis le faire. Vous ne voulez pas la guerre, dites-vous ? Ne me demandez pas alors une politique qui serait inconséquente si je ne la poussais jusqu’au bout ! »

Tous ceux qui appuyaient les pétitions des évêques étaient acculés dans une impasse, avec le spectre de la guerre apparaissant comme la conclusion fatale de leur mouvement sur le pays qui les avait élus avec un seul programme : « la paix quand même, et malgré tous les sacrifices matériels, moraux, qu’elle pourrait entraîner ! » De cet embarras extrême, l’évêque d’Orléans, M. Dupanloup, dont le rôle dans toutes les intrigues était si actif, se fit l’interprète en un discours confus et sans conclusions fermes. La bataille, fort vive, s’engagea sur l’ordre du jour présenté par M. Marcel Marthe, d’accord avec le chef du pouvoir exécutif, tandis que la gauche avait d’abord réclamé l’ordre du jour pur et simple, seule sanction que méritât le sujet de la discussion. L’ordre du jour de M. Marcel Marthe portait : « L’Assemblée, confiante dans les sentiments patriotiques et la prudence du chef du pouvoir exécutif, passe à l’ordre du jour ».

Il était utile que dans une question pouvant engager ou compromettre la paix, une manifestation très nette couronnât le débat. M. Gambetta, qui rentrait en scène, le comprit, et, au nom de l’extrême-gauche, il fit la déclaration suivante : « Nous avions proposé un ordre du jour pur et simple suivi d’une demande de scrutin, mais après les déclarations patriotiques de M. Thiers, après la garantie qui nous est donnée de la paix européenne, nous nous rallions à l’ordre du jour accepté par M. le chef du pouvoir exécutif ».

La gauche entière avait applaudi cette déclaration : il semblait qu’un vote unanime dût terminer cet incident qu’avait caractérisé la première