Page:Jaurès - Histoire socialiste, XII.djvu/42

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fire à juger tous les prisonniers. Il fallut en créer de nouveaux. Leur tâche devait s’exercer sur une foule énorme. Voici ce qu’en écrit M. Gabriel Hanotaux dans son Histoire de la France Contemporaine, au chapitre qui porte pour titre La Répression : « Trente-cinq mille huit cents prisonniers furent dirigés sur Versailles, campés à Satory ou enfermés dans deux propriétés des environs et dans les prisons de la ville, puis, après un premier interrogatoire, évacués sur Brest, sur Lorient, sur Cherbourg, sur La Rochelle et Rochefort. Jusqu’en 1875, le nombre total des arrestations monta à quarante-trois mille cinq cent vingt et un. Vieillards, jeunes gens, hommes mûrs, femmes et enfants, toutes les conditions et tous les âges figuraient dans ces troupeaux pitoyables ».

Et l’outillage judiciaire fut mis à la hauteur matérielle de sa tâche meurtrière : sa tâche morale il ne la connut jamais. Thémis, casquée et bottée, ne fut pas aveugle, mais aveuglée ; elle oublia les classiques balances échangées contre le sabre et le fusil. Sur la proposition de M. Bérenger, qui devait songer bien tardivement à la « loi de pardon », de nouveaux conseils de guerre avaient été créés par la loi du 7 Août 1871 : ils allaient être portés à quinze d’abord, puis à vingt-cinq, enfin à vingt-six. rien que pour la 1re division militaire.

Pour la province et l’Algérie, les conseils de guerre existant dans les divisions militaires suffirent. Ils siégèrent pour juger les personnes impliquées dans les divers mouvements insurrectionnels à Limoges, Lille, Rouen, Marseille, Besançon, Châlons-sur-Marne, Narbonne, Montpellier, Bordeaux, Nantes, Toulouse, Bayonne, Lyon, Brest, Clermont-Ferrand, Bourges, Bastia, Constantine, Alger et Oran.

Quatorze cours d’assises eurent à connaître des procès du même caractère ; elles jugèrent les civils : les soldats passés à l’ennemi républicain, socialiste et patriote dans la haute acception du mot, furent livrés aux conseils de guerre qui les frappèrent sans merci. Elles siégèrent dans les Basses-Pyrénées, la Drôme, la Seine, le Loiret, le Puy-de-Dôme, le Gard, l’Aveyron, le Cher, l’Oise, la Nièvre, la Marne, la Seine-et-Marne, l’Isère, Saône-et-Loire.

La plus grande publicité fut donnée par la presse à ces procès ; les journaux conservateurs et les républicains modérés en profitèrent largement pour organiser une odieuse, lâche campagne de calomnies et de diffamations ; c’était une nouvelle semaine de Mai, cette fois la plume et le code militaire collaborant. Un volume serait nécessaire pour donner une idée des sottises, des faux accumulés contre les accusés, la plupart présentés comme des détraqués, des alcooliques ou des criminels de grands chemins ; les femmes, des pétroleuses ou des prostituées ! C’est l’éternel refrain de l’histoire : Quand la foule, après des jours de luttes sanglantes, après avoir violenté les institutions établies, écartelé Charte et Constitution, après avoir balayé un régime « légalement établi », remet sa victoire aux mains de dirigeants qui, fréquemment