Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu/104

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

c'est bien à ce génie des temps nouveaux que la Révolution soumettait les forces anciennes. Double leçon pour nous : de largeur d'esprit et d'unité d'esprit. Mais ce que je devais retenir maintenant, ce que je voulais marquer, c'est combien sont arbitraires et étroits les procédés d'évaluation appliqués aux grandes méthodes de guerre par le capitaine Gilbert et ses disciples, c'est-à-dire par un grand nombre d'officiers.

C'est combien il est dangereux d'isoler la technique militaire et de comparer, par exemple, au seul point de vue de la tactique de concentration des forces, la méthode révolutionnaire de Carnot et la méthode napoléonienne.

On pourrait dire, même au point de vue purement technique, qu'il est assez puéril de noter, comme le fait Gilbert, que Carnot, malgré sa tendance à la guerre de masse, n'a pas concentré son action militaire, avec ses quatorze armées, au même degré que Napoléon et qu'il a ainsi moins bien pratiqué la seconde règle formulée par Clausewitz, d'après l'expérience du Maître : la concentration des forces dans l'espace. Carnot avait à tenir compte de nécessités exceptionnelles. La guerre que soutenait la Révolution était une guerre immense, à la fois nationale et sociale. Elle luttait contre tous les ennemis de l'ordre nouveau au dedans et au dehors. Et la correspondance des commissaires de la Convention démontre que sans la présence de la force armée sur toutes les frontières et presque dans toutes les régions du pays, l'étranger aurait aisément provoqué des soulèvements intérieurs. Carnot concentrait, autant qu'il était possible, les forces et l'action en faisant passer rapidement d'une armée à l'autre, selon les vicissitudes des besoins, les bataillons nécessaires et en veillant sans cesse à ce que les chefs agissent partout avec toutes les forces dont ils disposaient.

Renoncez au morcellement qui vous perd — attaquez en masse — c'est la dispersion qui vous affaiblit. Il faut opérer en ce point avec une telle supériorité de forces que la victoire soit une certitude.