Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu/113

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fois vigoureuse et prudente était la seule qui convenait à ce moment. Pas de coup de théâtre; pas de coup de foudre; pas de manœuvre « géniale » et aventureuse. Toutes les forces de défense n'étaient pas encore ramassées :

C'était un seul État allemand, une seule petite fraction de ses forces à venir qui, avec l'appui d'une médiocre armée alliée, avait à lutter contre les forces concentrées de la France, alors colossales. Par malheur, cette fois encore, des princes allemands avaient laissé leurs contingents se joindre à l'oppresseur ; par malheur, le reste de l'Allemagne gardait timidement le silence, appelait de ses vœux ardents l'heure de la délivrance, mais sans trouver le courage d'y travailler de ses propres mains ; par malheur, l'Autriche n'avait pas encore terminé ses préparatifs et il n'y avait dès lors qu'une issue possible, c'était de résister énergiquement à la nouvelle irruption d'un conquérant supérieur en forces et, par ce moyen, de rendre ses progrès plus pénibles, de miner autant que possible ses forces, de lui montrer, ainsi qu'au reste de l'Europe, la valeur de nos armes ; avant tout, de justifier et d'exalter la confiance en soi-même qui animait l'armée.

Cette tactique modeste et sobre fut-elle efficace? Clausewitz répond avec enthousiasme ; ou plutôt, c'est toute la nation prussienne qui répond avec lui :

Oui, il n'est pas de Prussien qui craigne la réponse, soyez tranquilles ! Vous pouvez jeter un regard en arrière sur votre conduite d'alors. Vous avez fait ce que la patrie attendait de vous et que Dieu demande aux défenseurs d'une cause juste et sainte. C'est la reconnaissance au cœur que le peuple constate vos efforts et vos sacrifices, et l'orgueil qu'il trouve à jeter les yeux sur votre lutte glorieuse est, pour l'esprit guerrier qui l'enflamme, un nouvel aliment.

C'est la glorification de la défensive nationale. Qu'on remarque bien qu'elle n'exclut pas la vigoureuse offensive sur un champ de combat déterminé, ni même, après une période d'accumulation des forces, la vigoureuse offensive d'ensemble. Mais cette première offensive locale et momentanée a beaucoup moins pour objet d'en finir d'un coup accablant avec l'adversaire que de hérisser d'obstacles sa marche et de rompre son élan.