Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu/72

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car le succès n'aurait rien de décisif. C'est le gros de ses forces que vise Napoléon ; mais il s'était assuré par la hardiesse de l'offensive qui choisit l'heure, et par le prodige des concentrations rapides, la supériorité des forces sur le champ de bataille, même si l'effectif des deux armées est sensiblement égal. Tactique difficile qui suppose, avec une vue d'ensemble très étendue et très nette de tous les mouvements possibles, des qualités d'administration admirables ; car il faut que toute la masse pesante de matière que l'armée la plus dégagée traîne toujours avec elle, la portion dé vivres qu'elle ne peut prélever sur le pays et les munitions, soit au service d'une pensée ailée et ne l'opprime pas de sa lenteur.

Les stratèges allemands, selon Gilbert, n'ont eu qu'à s'inspirer de ces idées et à appliquer ces méthodes. C'est Clauzewitz qui, commentant à l'Académie militaire de Berlin les campagnes de Napoléon, en a dégagé l'enseignement et créé la doctrine prussienne, copiée de l'action française. C'est cette doctrine empruntée à la France que de Moltke a appliquée. Les Allemands en conviennent.

Ils se disent eux-mêmes les élèves de Napoléon,

et cela est vrai, mais ce qui n'est pas vrai, c'est qu'ils l'aient perfectionnée. Ils se vantent même quand ils prétendent, comme le général de Hohenlohe,

…que la stratégie allemande a été plus réfléchie, plus résolue, plus nette que celle de Napoléon Ier.

Il n'est pas vrai qu'en 1806, dans les jours qui ont précédé Iéna, Napoléon ait maœuvré comme à tâtons, qu'il n'ait pas été suffisamment informé de la position et de la marche de l'adversaire, et qu'il n'ait tenu qu'à celui-ci, plus actif et plus audacieux, de le surprendre en plein travail de rassemblement. Les documents, les ordres même et les lettres de Napoléon démontrent qu'il savait, que toutes ses mesures étaient prises en vue des diverses hypothèses qui pouvaient se produire, et qu'il avait veillé à ce