Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu/76

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

de la pensée inspiratrice, se continuaient en espérance ; dans le camp des vaincus, il rallumait les feux d'Austerlitz. L'esprit d'audace et d'offensive qui venait de passer, au temps du boulangisme, sur les rangs de l'armée française et de la nation elle-même, mais confondu avec un souffle mauvais de démagogie, se dégageait, se précisait et retrouvait, dans les formules napoléoniennes ranimées. sa permanence française. Ce n'était pas une vaine fanfare de chauvinisme grossier : c'était tout un système, et qui se prétendait fondé sur la science des lois de la guerre. C'était un appel vibrant, mais qui s'adressait aux intelligences ; c'était un clairon qui sonnait aux esprits, et sans doute pour beaucoup de jeunes officiers qui cherchaient des raisons de croire, ce fut un enchantement.

Gilbert leur rendait encore un autre service, ou tout au moins ils pouvaient s'imaginer qu'en effet c'était un service. En les ramenant, non pour l'action politique, mais pour l'action militaire, à la formule napoléonienne, il les rattachait au monde moderne, au monde de la Révolution, et il les dispensait cependant ou paraissait les dispenser de faire un choix entre les divers partis et les classes qui s'en disputent la direction. Napoléon n'est pas pour le capitaine Gilbert un sublime accident : il a fixé en une forme achevée et souveraine les règles d'action suscitées, imposées par la nouvelle société révolutionnaire : la formule napoléonienne est, dans un ordre déterminé, le produit et l'expression du monde nouveau ; elle n'en représente pas un moment particulier : elle en traduit les nécessités permanentes. Elle est donc inconciliable avec l'ancien régime, et en même temps, si elle est inséparable du régime moderne, elle en domine les vicissitudes.

L'art militaire, déclare Gilbert, a pris, au début du siècle, dans la société moderne en éclosion, une forme qu'il conservera aussi longtemps que durera l'évolution politique et sociale à laquelle il contribue.

Une société née de la Révolution et qui, abolissant la légitimité divine, a affirmé son droit par l'explosion des